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Chroniques cartographiques (vidéo)

Se mettre en recherche collectivement, faire enquête depuis un milieu, étudier des mondes, ce n’est pas, comme les sociologues l’ont souvent fait, les observer et faire retour sur cette observation, c’est être traversé par eux, à un endroit précis, et réussir, parfois, à trouver les moyens adéquats pour restituer cette expérience. Il nous semble dès lors inévitable de défendre la nécessite d’une épistémologie du positionnement en situation de recherche, et donc d’insister sur la dimension située de nos points de vue, de nos récits, de nos cartographies.

Avec Louis Staritzky, Pascal Nicolas-Le Strat.

Rencontre au Théâtre de L’Échangeur, le 7 décembre à 19h

Se mettre en recherche collectivement, faire enquête depuis un milieu, étudier des mondes, ce n’est pas, comme les sociologues l’ont souvent fait, les observer et faire retour sur cette observation, c’est être traversé par eux, à un endroit précis, et réussir, parfois, à trouver les moyens adéquats pour restituer cette expérience. Il nous semble dès lors inévitable de défendre la nécessite d’une épistémologie du positionnement en situation de recherche, et donc d’insister sur la dimension située de nos points de vue, de nos récits, de nos cartographies. Pour autant, il ne s’agit pas simplement d’affirmer leur caractère partiel, contre l’hégémonie d’une vision scientifique qui prétendrait tout voir depuis nulle part, mais, surtout, de montrer ce que ce rapport au monde éprouvé, localisé, fragmenté, permet de faire bouger. Ce que nous touchons, ce que nous sentons et percevons, la manière dont nous entendons, singularise, construit, élabore, rend possibles, et même vitales (donc vivantes), nos (manières de faire) recherches. En retour, celles-ci rejaillissent sur nos vies, transforment nos relations, singularisent nos modes d’existence, font émerger de nouvelles subjectivités.

Ainsi, plutôt que de supposer une capacité omnisciente de la recherche en science sociale à appréhender l’ensemble des expériences, à pouvoir les dire et à disposer des mots pour les restituer, il convient d’opérer un renversement radical en reconnaissant que toute singularité incorpore sa part d’irréductible, et que cette part ne saurait être « saisie » dans toute sa profondeur et sa portée. Le chercheur se met alors au travail avec ces intraduisibles, sans tenter de les circonscrire ou de les restreindre, comme si la recherche était une conquête de terrain face aux résistances que lui opposent les réalités de vie. La chercheuse est dans l’illusion si elle pense que petit à petit, à force d’enquête et de terrain, elle parviendra à venir (presque) à bout de ses questions et étonnements. Il est temps que le chercheur renonce à cette toute puissance, qui est avant tout une duperie ou un mirage, sur laquelle repose l’idée que le réel finira par (lui) céder face à la pertinence de ses instruments d’enquête et de ses outils conceptuels. Il est alors de bien meilleure politique (de la recherche) de considérer, à l’inverse, que ces résistances à son effort de compréhension ouvrent des opportunités pour, sans cesse, par une sorte de « permanence » de la recherche, réengager, rencontrer, s’étonner, découvrir, se perdre, mais aussi coopérer, partager, collectiviser… C’est à cet endroit que naissent et que se dessinent nos chroniques cartographiques, qui se fabriquent et se partagent au cœur de nos expériences. Elles donnent à voir nos recherche-actions se faisant, et insistent ainsi beaucoup plus sur notre responsabilité en tant que chercheur impliqué dans des expériences collectives, à documenter, expliciter, et donc travailler les processus, plutôt qu’à formuler des résultats (finaux). Il s’agit aussi pour nous de faire de la recherche un outil collectif, qui nous donne collectivement du pouvoir d’agir sur nos situations de vie. Cela demande donc de nous co-former à la recherche par la recherche, en pluralisant nos écritures, nos récits, nos modes de restitutions, nos manières de voir, de sentir-penser, de parler, d’agir..

La recherche-action devient alors l’expérimentation d’une démocratie radicale qui fait vivre, en même temps qu’elle les construit (en situation), les droits politiques qui nous permettent quotidiennement de respirer.. Il s’agit ici, à travers nos processus de recherche collective de « cultiver le dissensus et la production singulière d’existence » (Félix Guattari, Les trois écologies, p. 43), et cela peut se faire partout (dans le travail social, le soin, l’université, la ville…), pas seulement à travers les parcours de désertion. Pour toutes les personnes qui étouffent sous le poids des inégalités, des normes, des catégories, toutes celles que la dégradation des services publics précarise grandement (que ce soit en tant que travailleur ou usager) ou que les bouleversements écologiques affectent durement, la recherche ne devrait pas être un luxe mais, bien, comme Audre Lorde le formulait à propos de la poésie : « une nécessité vitale ».

Pascal Nicolas-Le Strat est sociologue, professeur en sciences de l’éducation (laboratoire Experice, Université Paris 8 Vincennes Saint-Denis), co-responsable de « Territoires en expérience(s) » (Experice, Campus Condorcet, Aubervilliers). Ses thèmes de recherche concernent: les micropolitiques de création ou de résistance; les formes d’expérimentation politique, artistique ou sociale; les politiques du savoir; le travail du commun comme nouveau champ de pratiques professionnelles et citoyennes, transversal à l’art, à l’urbain, au social… (agir le commun/agir en commun). Il est l’auteur de nombreux ouvrages, dont Expérimentations politiques, Éditions Fullen, 2009, Le travail du commun, Éditions du commun, 2016, Quand la sociologie entre dans l’action, Éditions du commun, 2018, Faire recherche en voisinant, Ours Éditions, 2022.

Louis Staritzky est sociologue, doctorant au laboratoire Experice à l’Université Paris 8 Vincennes Saint-Denis. Il soutient début janvier sa thèse de sociologie : « La recherche comme expérience(s). Vers une sociologie des tentatives », dans laquelle il revient sur les enjeux politiques de la recherche-action, depuis ses pratiques de recherche en quartier populaire. Il est membre de revue Agencements, recherches et pratiques sociales en expérimentation et vient de faire paraitre La recherche comme expérience(s) – Chroniques d’un atelier étudiant de recherche-action à Saint-Denis, Ours édition, 2022.

Le site de Pascal Nicolas-Le Strat

Revue Agencements

Les Fabriques de sociologie

Théâtre de L’Échangeur, 59 avenue Général du Gaulle – 93170 BAGNOLET.
Administration 01 43 62 06 92 | info@lechangeur.org
Réservations 01 43 62 71 20 | reservation@lechangeur.org