Il vaut mieux avoir rendez-vous avec les femmes qu’avec l’Apocalypse.
Françoise d’Eaubonne
Il semblerait que ceux qui prétendent gouverner le monde voudraient définitivement nous en absenter. Absence qui résulte de la destruction de nos interdépendances, de la continuité de nos expériences rendant les lieux habitables. Le « cas » de la gouvernementalité pandémique en aura été le dernier avatar sidérant. Pour mettre en perspective le chaos gouvernemental que nous vivons, il nous faudrait l’inscrire dans la longue entreprise de ravages des communautés et des milieux de vie singuliers dans lesquelles celles-ci trouvent à exister. Des lors, partir du quotidien comme levier politique est non seulement une nécessité existentielle, mais nous permet de réactiver des visées révolutionnaires pour renverser l’ordre des choses, tout en conjurant les infirmités qui semblaient leur être indissociables : avant-gardisme, abrasion idéologique des manières d’habiter une pluralité de mondes, finalisme prétendant éclairer les « sujets politiques ».
Que la destruction des puissances d’animation par les femmes, animation de la communauté, des rapports à des lieux habités, ait été généalogiquement au cœur de la destruction de ce que rétrospectivement on appelle les « communs », nous dit la justesse de la proposition de Geneviève Pruvost autour des féminismes des subsistances. Car il s’agit par là, avant tout, de la réactivation de formes génératives de l’expérience de la communauté (et non pas la reproduction sociale avec ses divisions et assignations).
Nous soulignerons alors le titre d’une des sections du livre : « pas de commun sans communauté ». Ce qui nous invite à ajouter : pas de communauté sans communisation.
Et c’est là que l’on rejoint la résurgence d’une histoire plurielle et récalcitrante, celle des femmes qui n’ont eu de cesse de réactiver depuis la nuit des temps la fabrique des expériences transitives entre des modes d’existence hétérogènes. Histoire d’une multitude de gestes engageant des réciprocités, des communautés ramifiées, des rapports situés à des milieux de vie. Et enfin, le tissage de liens organiquement inscrits dans des territoires où peuvent se déployer des transitions entre desmondes.
« L’enjeu c’est de décliner à tous les niveaux le paradigme de la lutte d’occupation, consistant à s’occuper en occupant un lieu, ce qui revient indissolublement à s’occuper des liens : rendre le lieu habitable, articuler différents usages, réenclencher des cycles de subsistance, se remettre en état d’alerte sensorielle, s’appuyer sur les connaissances autochtones, s’entre-former et, pour certaines et certains, se laisser happer par des attaches insondables, enfouies au plus profond dans la connaissance du territoire, afin d’assurer la veille sur la longue durée en tenant le registre de ce qui se passe, pour pouvoir passer le relais à d’autres. C’est se distribuer les tâches de la pré-occupation. Quand aux formes que peut prendre ce type d’ancrage, elles sont plurielles, mais elles visent à faire communauté ».
Geneviève Pruvost, Quotidien politique, La Découverte (2021)
Nous avons proposé à Geneviève Pruvost de nous faire part de ses recherches généalogiques mais aussi de ses nombreuses enquêtes de terrain. Échange animé par Jade Lindgaard et Josep Rafanell i Orra. A l’issue de cette discussion, nous partagerons un verre pour poursuivre de manière informelle nos échanges.
Geneviève Pruvost est sociologue du travail et du genre au Centre d’étude des mouvements sociaux (EHESS). Ses recherches portent sur la politisation du moindre geste et les alternatives écologiques. Elle a notamment publié, avec Coline Cardi, Penser la violence des femmes (La Découverte, 2012).
Nous nous retrouverons au Théâtre de L’Echangeur (à Bagnolet), le jeudi 24 février à 19h. C’est accessible en métro, bus ou tramway : de plus amples informations pratiques disponibles sur le site du Théâtre.
Nous vous prions, en raison de la jauge de présence imposée aux lieux culturels publics pour cause de Covid-19, de nous faire savoir votre présence par retour de mail.