Autrement dit, nous croyons avoir établi qui est le criminel, son modus operandi et le crime en soi. Ces trois caractéristiques se synthétisent en un système, c’est à dire en une manière d’être en relation avec l’humanité et avec la nature : le capitalisme.
Nous savons que c’est un crime en cours et que son aboutissement sera désastreux pour le monde entier. Mais ce n’est pas cette conclusion qu’il nous intéresse de corroborer, non.
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Parce qu’il s’avère que, également en étudiant et en analysant, nous avons découvert quelque chose qui peut être important ou pas. Cela dépend.
Partant du principe que cette planète sera anéantie, du moins telle que nous la percevons jusqu’à présent, nous avons étudié toutes les options possibles.
C’est à dire, le bateau coule et là-haut ils disent qu’il ne se passe rien, que c’est passager. Oui, comme lorsque le pétrolier « Prestige » a fait naufrage au large des côtes européennes (2002) — la Galice en a été le premier témoin et la première victime — et que les autorités commerciales et gouvernementales ont déclaré que seules quelques giclées de carburant s’étaient répandues. La catastrophe n’a été payée ni par le Chef aux commandes, ni par ses sous-chefs et contremaîtres. Elle a été payée, et continue de l’être, par les populations qui vivent de la pêche le long de ces côtes. Elles et leurs descendants.
Et par « Bateau », nous entendons la planète homogénéisée et hégémonisée par un système : le capitalisme. Bien sûr, ils pourront dire que « ce n’est pas notre bateau », mais le naufrage actuel n’est pas seulement celui d’un système, c’est celui du monde entier, complet, total, jusqu’au coin le plus reculé et le plus isolé, et pas seulement celui de ses centres de pouvoir.
Nous comprenons que certains pensent qu’il est encore possible de réparer, rafistoler, repeindre un peu ici et là, pour rénover le bateau et qu’ils agissent en conséquence. Le maintenir à flot quoi qu’il arrive, même en vendant le fantasme que des méga-projets sont possibles qui non seulement n’anéantissent pas des villages entiers, mais aussi n’affectent pas la nature.
Qu’il y ait des gens qui pensent qu’il suffit d’être très déterminé et de se mettre une bonne couche de maquillage (au moins jusqu’à la fin des processus électoraux). Et qui croient que la meilleure réponse aux exigences du « Jamais plus » — répétées dans tous les coins de la planète — sont les promesses et l’argent, les programmes politiques et l’argent, les bonnes intentions et l’argent, les drapeaux et l’argent, les fanatismes et l’argent. Qui croient dur comme fer que les problèmes du monde se résument au manque d’argent.
Et l’argent a besoin de routes, de grands projets civilisateurs, d’hôtels, de centres commerciaux, d’usines, de banques, de main-d’œuvre, de consommateurs,… de police et d’armées.
Ce que l’on appelle les « communautés rurales » sont classées comme « sous-développées » ou « arriérées » parce que la circulation de l’argent, c’est-à-dire des marchandises, est inexistante ou très réduite. Peu importe que, par exemple, leur taux de féminicide et de violence de genre soit inférieur à celui des zones urbaines. Les succès gouvernementaux se mesurent au nombre de zones détruites et repeuplées par des producteurs et des consommateurs de marchandises, grâce à la reconstruction de ce territoire. Là où il y avait un champ de maïs, une source, une forêt, il y a maintenant des hôtels, des centres commerciaux, des usines, des centrales thermoélectriques,… la violence de genre, la persécution de la différence, le trafic de drogue, des infanticides, le trafic d’êtres humains, l’exploitation, le racisme, la discrimination. En bref : la c-i-v-i-l-i-s-a-t-i-o-n.
Leur idée est que la population paysanne devienne l’employée de cette « urbanisation ». Ils continueront à vivre, à travailler et à consommer dans leur localité, mais le propriétaire de tout leur environnement est un conglomérat industriel-commercial-financier-militaire dont le siège est dans le cyberespace et pour qui ce territoire conquis n’est qu’un point sur la carte, un pourcentage des bénéfices, une marchandise. Et le véritable résultat sera que la population autochtone devra migrer, car le capital arrivera avec ses propres employés « qualifiés ». La population d’origine devra arroser les jardins et nettoyer les parkings, les magasins et les piscines là où il y avait autrefois des champs de cultures, des forêts, des côtes, des lagunes, des rivières et des sources.
Ce que l’on cache, c’est que derrière les expansions (« guerres de conquêtes ») des États, — qu’elles soient internes (« en intégrant plus de population à la modernité ») ou externes sous différents prétextes (comme celui du gouvernement d’Israël dans sa guerre contre la Palestine) — il y a une logique commune : la conquête d’un territoire par la marchandise, c’est-à-dire l’argent, c’est-à-dire le capital.
Mais nous comprenons que ces gens-là, pour devenir les caissiers qui gèrent les paiements et les encaissements qui donnent vie à la machine, forment des partis politiques électoraux, des fronts — larges ou étroits — pour se disputer l’accès au gouvernement, des alliances et des ruptures « stratégiques », et toutes les nuances dans lesquelles s’engagent des efforts et des vies qui, derrière de petits succès, cachent de grands échecs. Une petite loi par ici, un dialogue officiel par là, une note de presse là, un tweet ici, un like là, et pourtant, pour donner un exemple de crime mondial en cours, les féminicides sont en augmentation. Pendant ce temps, la gauche monte et descend, la droite monte et descend, le centre monte et descend. Comme le chantait l’inoubliable Marisol de Malaga, « la vie est une tombola » : tout le monde (en haut) gagne, tout le monde (en bas) perd.
Mais la « civilisation » n’est qu’un alibi fragile pour une destruction brutale. Le poison continue de jaillir (non plus du Prestige — ou pas seulement de ce navire), et l’ensemble du système semble prêt à intoxiquer jusqu’au dernier recoin de la planète, car la destruction et la mort sont plus rentables que l’arrêt de la machine.
Nous sommes sûrs que vous serez en mesure d’ajouter bien d’autres d’exemples. Des échantillons d’un cauchemar irrationnel et pourtant bien actif.
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Ainsi depuis plusieurs dizaines d’années nous nous sommes concentrés sur la recherche d’alternatives. La construction de radeaux, de canoës, de canots, et même de plus grandes embarcations (la sexta comme une arche improbable), ont un horizon bien défini. Quelque part, il faudra débarquer.
Nous avons lu et nous lisons. Nous avons étudié et continuons à le faire. Nous analysons avant et maintenant. Nous ouvrons notre cœur et notre regard, non pas aux idéologies actuelles ou démodées, mais aux sciences, aux arts et à notre histoire en tant que peuples originels. Et avec ces connaissances et ces outils, nous avons découvert qu’il existe, dans ce système solaire, une planète qui pourrait être habitable : la troisième du système solaire et qui, jusqu’à présent, apparaît dans les livres scolaires et scientifiques sous le nom de « La Terre ». Pour plus de précisions, elle se situe entre Vénus et Mars. C’est-à-dire, selon certaines cultures, entre l’amour et la guerre.
Le problème est que cette planète est déjà un tas de décombres, de cauchemars réels et d’horreurs tangibles. Peu de choses tiennent encore debout. Même le décor qui occulte la catastrophe se fissure. Ainsi, comment dire, le but n’est pas de conquérir ce monde et de profiter des plaisirs du vainqueur. C’est plus compliqué et alors oui, cela demande un effort mondial : il faut recommencer.
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Cependant, selon les grandes productions cinématographiques hollywoodiennes, la solution à la catastrophe mondiale (toujours quelque chose d’extérieur — aliens, météores, pandémies inexplicables, zombies ressemblant à des candidats à quelque fonction publique), est le produit d’une union de tous les gouvernements du monde (dirigés par les ricains)… ou, pire, du gouvernement américain synthétisé dans un individu ou une individue (parce que la machine a déjà appris que la farce doit être inclusive), qui peut avoir les caractéristiques raciales et de genre politiquement correctes, mais porte sur sa poitrine la marque de l’Hydre.
Mais, loin de ces fictions, la réalité nous montre que tout est commerce : le système produit la destruction et te vend des billets pour que tu t’en échappes… dans l’espace. Et c’est sûr, dans les bureaux des grandes entreprises, il y a de brillants projets de colonisation interstellaire… incluant la propriété privée des moyens de production. C’est dire que le système déménage, tout entier, sur une autre planète. Le « all included » fait référence à celles et ceux qui travaillent, qui vivent sur celles et ceux qui travaillent et à leur rapport d’exploitation.
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Mais parfois ils ne regardent pas seulement l’espace. Le capitalisme « vert » se bat pour des zones « protégées » sur la planète. Des bulles écologiques où abriter la bête pendant que la planète soigne ses morsures (ce qui prendrait à peine quelques millions d’années).
Quand la machine parle d’un « monde nouveau » ou « d’humaniser la planète », elle pense à des territoires à conquérir, dépeupler et détruire, pour ensuite repeupler et reconstruire avec la même logique qui aujourd’hui a amené le monde entier au bord de l’abîme, toujours prêt à faire le pas en avant requis par le progrès.
Vous pensez peut-être qu’il n’est pas possible que quelqu’un soit assez idiot pour détruire la maison où il vit. « La grenouille ne boit pas toute l’eau de la flaque où elle habite« , dit, paraît-il, un proverbe du peuple originaire Sioux. Mais si vous prétendez appliquer une logique rationnelle au fonctionnement de la machine, vous ne comprendrez rien (et la machine non plus). Les appréciations morales et éthiques ne sont d’aucune utilité. La logique de la bête est le profit. Bien sûr, vous vous demandez maintenant comment il est possible qu’une machine irrationnelle, immorale et stupide dirige le destin d’une planète entière. Ah, (soupir), c’est dans sa généalogie, dans son essence même.
Mais, laissant de côté l’exercice impossible de doter de rationalité l’irrationnel, vous arriverez à la conclusion qu’il est nécessaire de détruire cette monstruosité qui non, n’est pas diabolique. Malheureusement elle est humaine.
Et évidemment, vous étudiez, vous lisez, vous confrontez, vous analysez et vous découvrez qu’il existe de grandes propositions pour aller de l’avant. Depuis celles qui proposent des onguents et des maquillages jusqu’à celles qui recommandent des cours de morale et de logique pour la bête, en passant par de vieux ou de nouveaux systèmes.
Oui, nous vous comprenons, la vie est merdique et il est toujours possible de se réfugier dans ce cynisme tellement surestimé dans les réseaux sociaux. Feu le SubMarcos disait : « le problème n’est pas que la vie soit une merde, mais qu’ils t’obligent à la manger et qu’en plus, ils attendent tes remerciements ».
Mais supposons que non, que vous sachiez qu’en effet, la vie est puante, mais que votre réaction ne soit pas de vous replier sur vous-même (ou sur votre « monde », selon le nombre de vos « adeptes » sur les réseaux sociaux existants ou en devenir). Et vous décidez donc d’embrasser, avec foi, espoir et charité, l’une des options qui se présentent à vous. Et vous choisissez la meilleure, la plus grande, celle qui a le plus de succès, la plus célèbre, celle qui gagne… ou celle qui est proche de vous.
Grands projets de systèmes politiques nouveaux et anciens. Retards impossibles de l’horloge de l’histoire. Nationalismes patriotiques. Avenirs partagés à condition que telle option prenne le pouvoir et y reste jusqu’à ce que tout soit résolu. Votre robinet fuit, votez pour celui-ci. Trop de bruit dans le quartier ? Votez pour celui-là. Le coût des transports, de la nourriture, des médicaments, de l’énergie, des écoles, des vêtements, des loisirs, de la culture a augmenté ? Vous avez peur de la migration ? Les personnes à la peau foncée, les croyances différentes, les langues incompréhensibles, les tailles et les teints différents vous dérangent ? Votez pour…
Il y en a même qui sont d’accord sur l’objectif mais pas sur la méthode. Et après on répète en haut ce qui a été critiqué en bas. Avec des contorsions répugnantes et en argumentant des stratégies géopolitiques, on soutient celui ou celle qui suit la même voie du crime et de la stupidité. On exige que les peuples supportent les oppressions au profit du « rapport de forces international et de la montée de la gauche dans la région ». Mais le Nicaragua n’est pas Ortega-Murillo et la bête ne va pas tarder à le comprendre.
Dans ces grandes braderies de solution au supermarché mortifère du système, on omet souvent de dire qu’il s’agit de l’imposition brutale d’une hégémonie, d’un décret de persécution et de mort pour tout ce qui n’est pas homogène au vainqueur.
Les gouvernements gouvernent pour leurs partisans, jamais pour ceux qui ne le sont pas. Les stars des réseaux sociaux alimentent leurs troupes, même s’il faut sacrifier l’intelligence et la dignité. Et le « politiquement correct » avale des couleuvres, qui devront ensuite dévorer celui qui préconise la résignation « pour ne pas favoriser l’ennemi principal ».
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Le zapatisme est-il une grande réponse, une de plus, aux problèmes du monde ?
Non. Le zapatisme c’est un tas de questions. Et la plus petite peut être la plus inquiétante. Et toi alors ?
Face à la catastrophe capitaliste, le zapatisme propose-t-il un vieux-nouveau système social idyllique, qui nous fasse reproduire les impositions d’hégémonies et homogénéités devenues « bonnes » ?
Non. Notre pensée est petite comme nous : ce sont les efforts de chacun, dans sa géographie, selon son calendrier et à sa manière, qui permettront, peut-être de liquider le criminel et, simultanément, de tout refaire. Et tout, signifie tout.
Chaque personne, selon son calendrier, sa géographie, à sa manière, devra tracer sa voie. Et comme nous, les peuples zapatistes, elle trébuchera et se relèvera, et ce qu’elle construira prendra le nom qu’elle voudra avoir. Et cela ne sera distinct, et en mieux que ce que nous avons enduré avant, et que nous endurons actuellement, que si cette personne reconnaît ce qui est autre et le respecte, si elle renonce à imposer sa pensée à ce qui est différent, et si finalement elle se rend compte que les mondes sont nombreux et que leur richesse provient de leur différence et brille en elle.
Est-ce possible ? Nous ne le savons pas. Mais ce que nous savons c’est que, pour le vérifier, il faut lutter pour la Vie.
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Alors, qu’allons-nous faire dans cette Traversée pour la Vie si nous n’aspirons pas à dicter des chemins, des routes, des destins ? Pour quoi, si nous ne recherchons pas des adhérents, des votes, des likes ? Pour quoi, si nous ne venons pas pour juger, condamner ou absoudre ? Pour quoi, si nous n’appelons pas au fanatisme pour un nouvel-ancien credo ? Pour quoi, si nous ne cherchons pas à entrer dans l’Histoire et à occuper une niche dans le panthéon moisi du spectre politique ?
Eh bien, pour être honnête avec vous en tant que zapatistes que nous sommes : nous n’allons pas seulement confronter nos analyses et nos conclusions avec l’autre qui lutte et pense de manière critique.
Nous venons pour remercier l’autre d’exister. Le remercier pour les enseignements que sa rébellion et sa résistance nous ont offerts. Pour livrer la fleur promise. Embrasser l’autre et lui dire à l’oreille qu’il n’est pas seule, seulx, seul. Lui murmurer que cela vaut la peine de résister, de lutter, de souffrir pour celles et ceux qui ne sont plus là, d’avoir la rage que le criminel soit impuni, de rêver d’un monde non pas parfait, mais meilleur : un monde sans peur.
Et aussi, et surtout, nous allons chercher des complicités… pour la vie.
SupGaleano.
Juin 2021, Planète Terre.
Traduit de l’espagnol (Mexique).
Texte d’origine : Enlace Zapatista