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Invitation aux architectes : rejoignez les Soulèvements de la Terre !

«Nous revendiquons une écologie sans transition.» Appel aux architectes pour un engagement immédiat dans l’initiative des Soulèvements de la Terre

Collectif GRAP


Cette invitation s’adresse à celles et ceux qui travaillent dans les agences et écoles d’architecture, bureaux d’études et d’urbanisme. Plus encore, elle s’adresse aux étudiant·e·s de ces disciplines qui peuvent se sentir démuni·e·s face à des enjeux politiques qui les dépassent — les auteurs et autrices sont passé·e·s par là il y a peu. Nous pensons qu’il est temps de sortir des cadres du travail salarié, de l’auto-entreprenariat et du marché qui nous empêchent d’avancer de manière efficiente vers une écologie populaire et radicale. Rejoindre les mouvements qui luttent face à la machine de la croissance et du capital dans laquelle nos professions sont prises est pour nous une piste bien sérieuse. Rendez-vous à Saint-Colomban les 19, 20 et 21 juin et en Île-de-France du 29 juin au 3 juillet pour soutenir le blocage des industries de la construction responsables de l’artificialisation des sols et du dérèglement climatique.


La transition n’aura pas lieu : l’écologie mainstream comme leurre

Les secteurs de l’économie auxquels nos professions sont intégrées ont une part de responsabilité considérable dans le dérèglement climatique, l’artificialisation des sols et la pollution en général. Loin de participer à la construction d’un monde désirable, l’aménagement du territoire et le BTP contribuent largement au désastre écologique en cours et maintiennent l’ordre social dominant.

Depuis plusieurs années, la question écologique a pourtant largement progressé dans nos disciplines et plusieurs imaginaires se sont développés pour tenter d’apporter des réponses. Ces réponses dites « écologiques » consistent le plus souvent à employer des matériaux moins polluants, à prioriser la rénovation ou la réhabilitation et à atteindre de bonnes performances thermiques. La stratégie de la « transition écologique » consiste quant à elle à additionner de nouvelles solutions techniques jugées plus vertueuses en espérant qu’elles deviennent un jour hégémoniques. Dans le secteur de l’aménagement du territoire, l’argumentaire écolo se réduit principalement à un verdissement. Parfaitement intégré aux stratégies de communication et aux agendas de développement, il permet de masquer le rythme toujours croissant de la destruction de l’environnement.

Nous pensons que cette écologie mainstream fait trop souvent abstraction des rapports de force, de classes, de dominations, et privilégie des compromis inopérants. Pour les pouvoirs publics comme pour les entreprises privées, elle est avant tout un outil marketing permettant d’obtenir le soutien de l’opinion publique dans la réalisation de projets bien souvent inutiles, écocidaires ou inégalitaires — à l’image du Grand Paris et des JO 2024 qui justifient spéculation, bétonisation et gentrification. Quant à l’idée de « transition », elle nous semble tout à fait illusoire et dangereuse. Miser sur le verdissement progressif des modes de construction est un pari futile face à des rapports de force si disproportionnés et à l’urgence de la situation. Nous dénonçons l’attitude qui justifie ce pari en prônant la patience et la modération, et nous revendiquons plutôt une écologie sans transition1.

Sortir de l’impuissance

La difficulté de formuler, depuis les métiers de l’architecture, de l’urbanisme ou de l’aménagement, une réponse réellement radicale tient à la place que nos métiers occupent dans le processus de production de l’espace. Directement tributaires du pouvoir politique et des détenteurs de capitaux, ils sont dans une position asservie.

Pour sortir de cette impuissance, il semble nécessaire de s’affranchir des cadres rigides de l’économie capitaliste : travail salarié, auto-entreprenariat, marché, profit et concurrence généralisée. Il est également crucial de ne plus considérer le projet architectural ou urbain — aussi astucieux soit-il — comme une « solution » suffisante à la crise écologique. Nous devons donc élargir nos horizons et nos imaginaires en rejoignant des organisations collectives et en apprenant auprès de pratiques offensives2. Au croisement entre les enjeux de production de l’espace et de ceux de l’organisation politique, nous considérons les Soulèvements de la Terre comme une forme de lutte pouvant réinterroger nos pratiques, nos projets, nos chantiers et nos écoles.

L’appel des Soulèvements de la terre

En janvier dernier, plus d’une centaine de paysan·e·s, activistes écologistes, et habitant·e·s en lutte contre des projets d’aménagement imposés se sont rassemblé.es dans le bocage de Notre-Dame-des-Landes autour de constats communs. Premièrement, l’accès à la terre — enjeu central des luttes écologistes et paysannes — est menacé par le ravage organisé par l’agriculture industrielle et la bétonisation massive. Deuxièmement, les luttes et les alternatives, isolées les unes des autres, restent trop souvent impuissantes et nécessitent une organisation commune.

Cette rencontre a donc permis d’élaborer un programme d’actions qui entend rassembler largement pour soutenir des luttes et pour formuler des réponses collectives au problème de l’artificialisation des terres. Les modes d’actions choisis vont de l’occupation (pour soutenir des installations paysannes) au blocage de chaînes de production. Les Soulèvements de la Terre visent à encourager les expérimentations politiques et productives, comme la ZAD de Notre-Dame-des-Landes ou le quartier libre des Lentillères à Dijon. Plus largement, ces actions entendent construire de nouveaux rapports de force face aux infrastructures industrielles qui rendent ce monde invivable.

Les prochaines semaines

Les deux dernières actions de cette première saison des Soulèvements de la Terre ont lieu dans quelques semaines, et concernent tout particulièrement cette industrie de la construction dans laquelle nous sommes indéniablement pris.es.

A Saint-Colomban, petite commune rurale de Sud-Loire à 25 km de Nantes, paysan.es et habitant.es font face un projet d’extension sur des dizaines d’hectares des carrières de sable Lafarge et GSM. Ce sable est principalement destiné à alimenter l’industrie du BTP et la folie des grandeurs de Nantes Métropole. Le reste est englouti par le maraîchage intensif sous serre qui accapare les terres environnantes et menace le bocage, le substituant par une mer de plastique. Un rassemblement est organisé les 19, 20 et 21 juin par un collectif d’habitant·e·s. Une manifestation, des ateliers et des discussions autour du maraîchage biologique et de l’écoconstruction accompagneront une action de blocage pour exiger l’abandon immédiat du projet d’extension.

En Ile-de-France, le projet de la Métropole du Grand Paris ravage le peu de terres agricoles restantes. Les habitant.es voient leur territoire transformé par des ambitions toujours plus mégalomaniaques. L’industrie de la construction, qui irrigue quotidiennement les chantiers du Grand Paris, se trouve précisément à l’intersection entre les ravages écologiques entraînés par la croissance urbaine illimitée et les injustices de classe causées par la marchandisation de la ville, la spéculation et la gentrification. Du 29 juin au 3 juillet, le Grand Péril Express, une série de blocages d’envergure se tiendront en Ile-de-France pour dénoncer l’impact écologique de l’industrie de la construction et du projet du Grand Paris.

Hâte de vous y retrouver !


Le GRAPE (Groupe de Recherche et d’Action sur la Production de l’Espace) est composé de quelques personnes issu·e·s d’une formation en école d’architecture, évoluant entre des milieux divers, de la recherche universitaire aux agences d’architecture, de la construction écologique au spectacle, des luttes urbaines aux tentatives autogestionnaires. Il a pour but d’organiser des moments de rencontre, d’actions, de débat, de fêtes, de construction, d’occupation inscrivant le politique au cœur de la question de l’espace.

  1. « Pratiquer une écologie sans transition consiste à interrompre dès maintenant l’œuvre destructrice de l’économie et à composer les mondes dans lesquels nous voulons vivre. Et cela, d’un même geste. » Désobéissance Ecolo Paris, Ecologie sans transition. Divergences, Paris, 2020. []
  2. Déjà, en mars 2021, une tribune paraissait en évoquant des pistes similaires à celles-ci. []