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Tu vois là, sous mon jardin, ce sera les quais du métro

Alors que les Jardins des Vertus, à Aubervilliers, sont menacés par les projets d’aménagement pour les Jeux Olympique de 2024, une brochure rassemble des paroles d’habitant·e·s pour contribuer au combat contre la destruction des Jardins, et traduire l’intensité de ce qui est défendu à travers la lutte en cours

Enserrés entre des tours de logements, un parking et une station de métro, les jardins offrent un refuge inattendu pour les habitants et les habitantes, mais aussi pour les hérissons d’Europe et les grillons d’Italie. A quelques encablures de la Cité des Courtillières et de la station Fort d’Aubervilliers, les Jardins des Vertus et les Jardins familiaux de Pantin ont traversé le temps et résisté à l’urbanisation aux alentours. Fondés en 1935 sur la Plaine des Vertus, une des plaines maraîchères les plus fertiles d’Ile-de-France, ils servent à donner aux ouvriers et ouvrières du coin la possibilité de cultiver quelques légumes sur un lopin de terre. Au total, ce sont 70 000 m2 de terres potagères qui accueillent des rangs d’oignons paille, des choux de noël, des tomates, des bosquets de lavande et des figuiers.

Aujourd’hui, plusieurs centaines de jardiniers et des jardinières des quartiers populaires d’Aubervilliers, Pantin et des villes alentours consomment toute l’année ce qu’iels produisent, offrent des fruits, des légumes et des herbes aromatiques à leurs proches et leurs voisins, échangent des graines et des astuces, prennent soin des abeilles. D’autant que le sol n’a jamais été artificialisé et que la terre a été enrichie de fumier et de compost. Quand les fins de mois sont difficiles à boucler, les conserves de haricots frais et les sauces tomates rendent le quotidien meilleur. Dans les moments pénibles de la vie, ou quand la pandémie restreint durement nos déplacements, aller jardiner permet de se revigorer, de voir le ciel, de prendre le soleil, de retrouver des visages connus, de s’occuper, de prendre soin de soi et de cultiver sa dignité face aux difficultés. Surtout dans ces villes de la Seine-Saint-Denis où la pauvreté touche beaucoup d’habitant·e·s et où les espaces verts manquent cruellement. Avec le réchauffement climatique, les jardins sont de plus en plus indispensables pour atténuer l’effet d’îlot de chaleur urbain, alors que les canicules s’annoncent toujours plus fréquentes. Sans compter la biodiversité qu’accueillent les jardins : 22 espèces protégées d’oiseaux y ont été recensées.

Pourtant, en juin 2020, plusieurs jardiniers et jardinières apprennent qu’une partie de cet espace est en danger : 4000 m2 de jardins vont être détruits par des bulldozers pour laisser place au spa/solarium d’un complexe aquatique d’entraînement pour les Jeux Olympiques de 2024. Grand Paris Aménagement, propriétaire des terrains, promet de les reconstituer côté Pantin. Mais qui peut prétendre déplacer un arbre fruitier sans l’abîmer? Et les sols amendés pendant de longues années sur 17 parcelles disparaîtront quand même sous les gravats.

Aux jardins, on se tourne d’abord vers la mairie. Il est peut-être encore temps de changer les plans, mais les institutions font la sourde oreille, déclarant « ne pas être en mesure de faire quelque chose » et mettant en avant le manque de piscine à Aubervilliers. Mais qui pourrait réagir alors ? Aux jardins, si beaucoup ont baissé les bras, d’autres s’y refusent. Le Collectif de défense des Jardins des Vertus voit le jour à la fin de l’été, et entame alors un long travail de mobilisation sur place. Peu à peu, à force de réunions, on commence à récolter des informations sur le projet réel et à convaincre ses voisins et voisines de rejoindre le collectif, on en parle à ses ami·e·s, et on ouvre les portes des jardins tous les samedis matin pour accueillir le voisinage et les curieux-ses. La mobilisation gagne en ampleur et parvient à de nombreuses oreilles. Une pétition réunit 45 000 signataires, des dizaines de journalistes publient dans les médias, des rencontres avec les acteurs institutionnels ont lieu et des courriers partent pour tenter de mettre la pression à ceux qui soutiennent le projet : la Mairie d’Aubervilliers, mais aussi Plaine Commune, le département de Seine-Saint-Denis, Grand Paris Aménagement, la Préfecture de région Ile-de-France et son conseil régional, la Ville de Paris, le Comité Olympique et même la Présidence de la République. Le collectif se met en lien avec les autres sites impactés par les JO pour envisager des solidarités. Puis, des collages apparaissent dans la ville, de nombreux dessins et aquarelles capturent des moments de vie aux jardins, des «  graines d’espoir  » sont même distribuées aux habitant·e·s.

Rien n’y fait… En face, on se réfugie derrière « l’urgence » liée aux JO 2024. Comment ces jeux olympiques sont-ils censés être écologiques s’ils nécessitent la destruction de plusieurs milliers d’hectares, non seulement des jardins cultivés depuis près d’un siècle, mais aussi d’autres espaces verts ailleurs en Seine-Saint-Denis ? Quels bénéfices cette piscine apportera-t-elle réellement aux habitants et habitantes d’Aubervilliers ? Ici, la logique de métropolisation joue à plein: la ville profite de la manne d’une compétition sportive internationale pour financer une infrastructure sans consulter la population sur son emplacement et sur la destruction de précieux espaces de nature.

Tête de pont de la gentrification du quartier, la piscine et la future station de métro du Grand Paris finiront de participer à l’artificialisation des terres franciliennes. Au moment où nous écrivons, en avril 2021, les bulldozers de Spie Batignolles sont à quelques mètres des plants de tomates : les travaux ont commencé sur le parking juste à côté et pourraient détruire les jardins dès la fin du mois. Les premiers arbres abattus du parking nous ont fait jurer de défendre tous les suivants.

A l’heure d’une crise écologique sans précédent provoquée par les ravages du capitalisme, les habitants et habitantes d’Aubervilliers vont perdre un précieux espace de nature, des sols riches, des jardins vivants, une nourriture saine, pas chère et auto-produite. Beaucoup craignent que ces premières destructions ne soient que la première étape d’une reconquête des jardins par Grand Paris Aménagement. GPA a en effet déjà proposé de remplacer les cabanes de jardin auto construites par des préfabriqués insipides. Les tôles et le bric-à-brac du quotidien n’ont sans doute plus leur place dans le futur quartier métropolitain, d’autant plus qu’il sera bientôt sous les caméras de tous les médias internationaux à l’occasion des JO. Les espaces verts des quartiers populaires ne sont pas des réserves foncières pour les projets des promoteurs et des aménageurs ! Les Jardins ouvriers et familiaux d’Aubervilliers et Pantin font partie de ces terres à défendre en ville, pour la fertilité du sol, le droit à l’autonomie alimentaire, les vivants qu’ils abritent, les jardiniers et les jardinières qui en prennent soin!

Cette brochure a été écrite par quatre mains, qui ne sont pas jardinières. Habitantes d’Aubervilliers et de Paris, nous avons découvert les jardins au cours de l’année 2020. C’est en se mêlant aux mobilisations menées par les jardinières et jardiniers en lutte au cours des derniers mois qu’est née l’envie commune de raconter leurs vécus, de donner une voix aux histoires que Grand Paris Aménagement et la Mairie d’Aubervilliers méprisent et menacent.

Entre l’hiver 2020 et le début du printemps 2021, nous sommes allées à la rencontre de plusieurs d’entre elles et eux pour recueillir leurs paroles, au beau milieu de leur jardin. Cette brochure, vouée à être diffusée librement et passée de mains en mains, est une manière de rendre visible les histoires de vies qui nous ont été confiées. Elles traduisent l’intensité de ce qui est défendu à travers la lutte en cours. Nous souhaitons que ces récits contribuent au combat contre la destruction des Jardins, et plus largement à la lutte contre la restructuration du quartier de Fort d’Aubervilliers, avec son lot d’expulsions, de gentrification, de pollutions environnementales et de ravages écologiques. Nous espérons qu’ils seront partagés lors de futures assemblées de quartier, qu’ils amèneront d’autres récits et d’autres paroles à se faire entendre. Nous voulons enfin qu’ils participent à renforcer les liens et solidarités entre les luttes contre la bétonisation de terres, d’ici et d’ailleurs.

(Texte d’introduction aux entretiens qui composent la brochure).

  • Pour contacter le Collectif de défense des Jardins de Vertus
    jardinpasdengin@risup.org
  • Brochure réalisée par Agitations potagères
    agitpot@risup.org

« Tu vois là, sous mon jardin, ce sera les quais du métro ». Paroles de jardinier·e·s d’Aubervilliers et de Pantins

Brochure libre de droit. N’hésitez pas à la diffuser.

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