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Le droit à l’épreuve de la résurgence des commons

Pour Serge Gutwirth et Isabelle Stengers, la résurgence actuelle des commons est porteuse de pratiques réinventant la durabilité à l’ère des menaces associées au bouleversement climatique

Contrairement à la fable de leur tragédie autodestructrice, les commons sont portés par une entente — un gouvernement (E. Ostrom) — et le souci partagé de ne pas détruire la ressource dont chacun dépend. Leur disparition est donc bien une éradication liée au développement du régime de connivence entre la liberté d’entreprise des propriétaires et la souveraineté du propriétaire au carré, l’État.

Si la résurgence actuelle des commons peut annoncer un changement de comportement urgent et désirable à l’ère des menaces associées au bouleversement climatique c’est parce qu’elle est porteuse de pratiques réinventant la durabilité. Mais elle se heurte frontalement aux lois et droits en vigueur, qui sont héritières de leur éradication.

Dans leur article les auteurs explorent la difficulté d’articuler le droit en vigueur avec ce qu’exige la vie des commons. Que ceux-ci génèrent nécessairement le développement de droits locaux et vernaculaires est au cœur d’une tension fondamentale avec le principe de la prééminence de la loi et du droit.

L’homo oeconomicus, cette fiction mathématico-économique, est devenu aujourd’hui la figure pseudo-réaliste de l’individu égoïste et borné, ne voyant que son intérêt immédiat, celui qui est rendu responsable de l’incapacité actuelle de répondre à la menace climatique

Nous avons choisi de poser la question de ce nouveau « droit naturel » en le confrontant aux enjeux vitaux liés au désordre climatique car il n’en fallait peut-être pas moins pour ébranler l’autorité sur les esprits de la référence à la liberté économique en tant que moteur du progrès humain. Il va de soi que ce droit, auquel sont désormais soumis les États, n’a pas été acquis sans un long et obstiné travail de pression, de lobbyisme, de propagande. Mais il s’impose aujourd’hui sur un mode tel que les multiples dégâts sociaux et écologiques particuliers qui s’accumulent ne suffisent plus à nourrir sa mise en cause. Que du contraire, comme Klein le rappelle, les Big Greens, les grandes associations de défense de l’environnement ont elles-mêmes adopté une attitude de partenariat « amical » avec l’industrie, mettant leurs espoirs dans ce qu’on a appelé le « capitalisme vert » (oubliant que l’interdit de ce qui pourrait être apparenté à du protectionnisme condamne toute politique locale liant par exemple emplois « verts » et énergie « propre »).

Tout commons est le produit d’une action collective, d’un « faire commun » : no commons without commoning.

Une chose est sure : l’individu isolable, pour qui la propriété est synonyme de liberté, de droit de faire, sans scrupule mais en toute sécurité juridique, ce que la loi n’interdit pas, n’est pas seulement une bizarrerie anthropologique au vu de la multiplicité des manières éco-sociales de « faire commun » qu’ont cultivées les peuples avant la grande éradication. Il est aussi, s’il en a les moyens, celui qui promouvra le « malheur aux vaincus » synonyme de barbarie. C’est pourquoi, même si les perspectives que nous venons d’esquisser peuvent apparaître spéculatives, voire même aberrantes, nous pensons qu’elles peuvent être utiles à titre d’essai. Le but d’un tel essai est clair. Il est d’apprendre à « prendre au sérieux » ce qui se prépare, ce qui est déjà en train d’arriver, c’est-à-dire d’apprendre à imaginer non la fin du monde – nos descendants et les leurs auront à vivre dans les ruines que nous leur laisserons – mais la fin de « notre » monde, qui se voulait purement humain.

Serge Gutwirth est professeur à la Faculté de droit et de criminologie de la Vrije Universiteit Brussel (VUB) et Isabelle Stengers est professeure de l’Université Libre de Bruxelles (ULB).


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