Jardins ouvriers, maraîchage familial, agriculture pirate, potagers de quartier, friches, greffes sauvages d’arbres fruitiers, carrés de légumes au pied des immeubles, bombes à graines, micro fermes, bergeries urbaines, forêts à proximité de quartiers populaires : partout les terres persistent en villes. Et partout elles sont menacées.
Comme par exemple à Aubervilliers, en Seine-Saint-Denis, où des jardins ouvriers risquent de perdre 10 000 m2 au profit d’une piscine d’entraînement des Jeux Olympiques de 2024 et d’une gare du Grand Paris Express.
Comme sur le triangle de Gonesse (Val d’Oise), où 110 hectares de foncier agricole sous maîtrise publique sont promis à la disparition sous les coulées de béton d’une gare du grand Paris, d’un établissement scolaire et de bâtiments liés au marché de gros de Rungis – mais pour favoriser les circuits courts, ne pas sous estimer la mordante ironie des aménageurs. Comme à Besançon (Doubs), ville pourtant dirigée par le parti écologiste EELV, où la mairie veut construire un « écoquartier » et un groupe scolaire sur une vingtaine d’hectares de jardins ouvriers et de bandes maraîchères. Comme sur le plateau de Saclay, en Essonne, où une « ZAclay » a été déclarée le 23 mai et une occupation démarrée pour empêcher la construction de la ligne 18 du métro du Grand Paris sur des champs et des prairies.
Et la liste pourrait se poursuivre, infinie : jardins collectifs de la TEP Ménilmontant à Paris, en face du cimetière du Père-Lachaise ; bergerie des Malassis à Bagnolet ; plaine des Ecouardes à Taverny (Val-d’Oise) ; aire des vents du parc Georges-Valbon, à la Courneuve ; commune de Saint-Hilaire (91) où 1,4 million de mètres cubes de chantiers du Grand Paris doivent être déversées sur des terrains agricoles. Et-caetera. Des milliers d’hectares sont en péril dans les zones métropolitaines françaises. Une offensive bétonnière en dépit des discours sur la transition écologique.
Pourtant ces terres des centre-villes ou de leur périphérie comptent. Mal aimées, souvent polluées, ignorées, parfois oubliées de leur proches riverain·e·s, elles bruissent de vie et d’activités quand on prend la peine d’aller les voir de près et d’écouter celles et ceux qui en font usage. Elles sont à la fois nourricières, lieux de rencontres et d’entraide. On y trouve refuge pour échapper aux cadences urbaines. Ce sont des zones de fraîcheur pendant les canicules, et des îlots de biodiversité où s’accrochent tant bien que mal des hérissons, des oiseaux migrateurs et des amphibiens menacés par la pollution des eaux. Bêchées, plantées, paillées, ou simplement arpentées par les promeneurs, ces terres urbaines transportent avec elles la mémoire d’années de travail, de sueurs, de rêveries et d’observations naturalistes. Chacun·e y a laissé un peu de son histoire, des semences de son pays d’origine, des graines de son propre jardin. A l’opposé des paysages uniformes de la grande culture agricole intensive, elles abritent une pluriversité, des manières de sentir et penser la terre, comme écrit Arturo Escobar. Elles se distinguent de ce qui se vit et s’éprouve depuis la ruralité du fait de leur contexte social, humain, migratoire, culturel. Quels mondes fabriquent ces terres urbaines ? C’est ce que ce chantier aimerait mettre à jour.
Ces parcelles de ville sont menacées par d’innombrables projets de lotissements, immeubles d’habitation, bureaux, parkings, entrepôts logistiques, data centers, gares. Mais pas seulement. Leur prédation est aussi nourrie par une agriculture urbaine hors sol, celle qui met les arbres en pots et place des bandes de légumes sur les toits des sièges de sociétés, au lieu de laisser prospérer les légumes en pleine terre pour tou·te·s. Une « écologie » sécuritaire qui conçoit des « écoquartiers » pour propriétaires, ne laissant que des miettes d’espaces aux logements sociaux. Mais n’oubliant pas de prévoir des terrains de basket sur les terrasses végétalisées – à l’exemple du quartier qui succèdera au village des athlètes des Jeux Olympique de 2024, qui a déplacé les 300 résidents d’un foyer de travailleurs migrants.
Les terres urbaines arpentées, aimées et défendues par ce chantier des Communaux ne se limitent pas au sol et à l’humus que nos pieds veulent continuer de fouler. Elles sont les pratiques populaires qui les soignent et les font vivre. Les formes de subsistance et d’entraide qui résistent au capitalisme immobilier et s’insurgent contre l’urbanisme policier. Les amitiés situées dans les coins de rues, les cours d’immeubles et les allées des cités.
L’une de nos hypothèses est que pour ne pas être condamné·e·s à être des urbain·e·s sans terre, il va falloir refaire des villes, à base de « quartiers vivants », de lieux partagés, de voisinage solidaire, de communs en lutte et de jardinage résistant. Cela ne peut se limiter à un festival des alternatives joyeuses. Cela requiert d’affronter la métropolisation, entendue comme une forme de gouvernement. C’est un autre objectif de ce chantier de tirer au clair les processus capitalistiques et politiques à l’œuvre autour des métropoles : organisation des flux (infrastructures de transports vers les clusters de bureaux, pénalisation des regroupements, résidentialisation des quartiers populaires,…), marchandisation des espaces publics, destruction des lieux collectifs et auto-organisés, technologies de la connexion au service de dispositifs sécuritaires, gentrification et relégation des pauvres et sans papier. Alors quels visages pourraient prendre la dé-métropolisation ? C’est encore l’un des sujets que nous aimerions débroussailler.
Ce chantier se mène en lien avec d’autres espaces de recherche et de luttes: Reprise de terres, Rencontres des espaces d’écologie populaire, Des terres pour Auber, défense des jardins des Vertus (Aubervilliers). Et bien d’autres encore.
Contenu attaché :
- « Là tu vois sous mon jardin, ce sera les quais du métro » (brochure à télécharger)
- Des terres pour Auber
- Appel Soulèvements de la terre
- Appel des Rencontres des espaces d’écologie populaire
- Cartographie (pas encore en ligne)