Le 12 mars s’annonce comme une mobilisation d’ampleur pour le climat. À y voir la tribune portée par les grandes associations institutionnelles comme Alternatiba ou Notre Affaire à tous, la société civile toute entière serait désormais dressée derrière cet étrange mot d’ordre : Look Up. (En référence à la production hollywoodienne sur plateforme Don’t Look Up, tristement réaliste, où les deux heures passées devant l’écran nous apprennent ce que l’on sait déjà : que nos gouvernements ne feront rien.)
« Ouvrir les yeux » donc, au cas-où certain·es seraient encore ignorant·es de la tempête qui s’annonce. Au vu de l’énergie déployée à faire exister cette marche climat, tout porte à croire qu’elle sera un succès. L’usage du slogan Netflix tente ainsi de reproduire l’ampleur médiatique que le film s’est récemment vu accorder.
Non contents de prétendre prendre acte de la catastrophe, nous défilerons dans la rue, dans le calme et la bonne humeur. Puis, suivront les conclusions optimistes : « Regardez, nous étions [Chiffres avec 5-6 zéros] partout en France à nous mobiliser pour le climat ! ». La mobilisation elle-même sera acclamée par une partie de ce qu’il reste de médias à gauche, et le personnel politique suivra. La récupération politique, ensuite : Jadot, Hidalgo ou Taubira qui appuieront leur candidature à la présidentielle sous couvert de représenter les « préoccupations de la jeunesse ». Une marche consensuelle, sur laquelle tout le monde se reposera pour accuser les autres de ne pas agir, de ne pas avoir pris conscience.
Si le scénario est joué d’avance, pourquoi se fatiguer à encore aller dans la rue ?
Depuis le début du mouvement climat en 2018, se sont suivis les mouvements contestataires : Gilets Jaunes, mobilisation contre la réforme des retraites, contre les violences policières, contre la loi de sécurité globale, contre les mesures sanitaires…
Et, toujours avec un train de retard, l’autoproclamé « mouvement climat » finissait par rejoindre le combat, une fois le bon slogan trouvé : « Fin du monde, fin du mois, même combat ! » ; « Génération climat, génération Adama », etc. Ces slogans n’étant plus en vogue, ce sera cette fois le film commercial de l’année qui donne son nom à la marche : « Look Up ».
Ces mots d’ordre semblent toujours avoir le même défaut : on se bat, mais on ne sait pas contre qui, ni comment.
Demander à « Ouvrir les yeux » quand tout le monde sait, penser que l’opinion suffit à changer nos conditions matérielles de vie, le système économique ou les choix des politiques, donne à voir l’illusion d’une écologie petite bourgeoise auxquels les gouvernants pourraient répondre plutôt que participer à la construction d’un rapport de force réel contre un monde organisé pour détruire le vivant.
Et pourtant, beaucoup d’écologistes ont manifesté au cœur des espaces de conflictualité. Avec les Gilets Jaunes, par exemple, sur les ronds points et dans la rue. Contre la réforme des retraites. D’autres ont rejoint des luttes contre les grands projets inutiles dans des ZAD, suivi « l’Appel contre la réintoxication du monde », ouvert des squats pour s’organiser autrement, se loger et loger celleux qui n’y arrivent pas, lutté à Bure contre le nucléaire et à Calais contre les frontières.
Ces écologistes se sont trouvés de nombreux adversaires, dès lors qu’il s’agissait de s’opposer frontalement au pouvoir coercitif et écocidaire : police, État, administrations territoriales, grandes entreprises.
Et pourtant, iels se sont opposé-e-s à la police quand il était important de le faire, ont lutté contre les expulsions, fabriqué des cantines populaires depuis le peu de ressources dont iels disposaient. En se mobilisant effectivement et concrètement, dans des luttes qui ont directement à voir avec le territoire habité, iels ont tenté de se porter à la hauteur des enjeux présents. Des enjeux territoriaux concrets, qui ont directement à voir avec ceux que les associations institutionnelles ne cessent de pointer du doigt, espérant que des gens ouvrent les yeux en allant manifester tous les trois mois.
Mais qui sont ces gens qui seraient sommés d’ouvrir les yeux ?
En Île-de-France, les responsables du ravage écologique sont connus. Il serait peut-être temps de s’opposer à ceux-là plutôt que de faire des marches qui ne s’opposent à rien. Par exemple, Anne Hidalgo qui a visité le quartier général d’Alternatiba Paris et soutenu leurs combats, est la présidente de la Solidéo (société de livraison des travaux olympiques), et la vice-présidente de la métropole du Grand Paris. Or, beaucoup le savent : la métropole du Grand Paris et les Jeux Olympiques sont les bétonneurs les plus puissants en Île-de-France. Ils s’appuient sur un large soutien politique (Valérie Pécresse et consorts) et obtiennent une importante manne financière de la part des promoteurs et sponsors de multinationales.
Grâce à ce puissant arsenal, la métropole et les Jeux Olympiques contribuent à artificialiser les terres, densifier les quartiers, racheter les logements et augmenter les loyers. En somme, à rendre la ville toujours plus inhabitable. Celleux qui s’y opposent réellement sont rendus inaudibles, marginalisés puis réprimés.
Au vu des mots d’ordre tel que « Look Up », demandant à nos gouvernants d’agir sur la base d’aucune critique concrète, on pourrait alors conclure qu’une telle marche pour le climat contribue plutôt à invisibiliser les luttes écologistes qu’à les renforcer. Curieuse camaraderie…
Ce texte n’a pas vocation à remettre en question les principes de ces associations ou leur recommander d’abandonner des modes d’actions pour les remplacer par d’autres. Nous sommes conscient-es du fait qu’il s’agit pour elles de mobiliser en masse, de faire venir le plus de monde possible pour convaincre un maximum de personnes de se mobiliser. Mais il est peu souhaitable de réduire la portée et l’ampleur de ce que beaucoup de personnes aujourd’hui mobilisé-es tentent de faire exister.
Les horizons anticapitalistes, anti-autoritaires, la lutte contre les structures identifiables et responsables de l’écocide se font sentir dans de nombreuses luttes locales et cortèges de manifestation.
Et pourtant, les marches climat ressemblent encore à un défilé canalisé, avec des pancartes préparées à l’avance et un service d’ordre réprimant toute créativité et spontanéité… À force de chercher un slogan à chaque marche qui fasse actualité, le fossé entre le « mouvement climat » et les autres ne cesse de se creuser.
Nous nous adressons donc à toutes celles et ceux qui rejoignent les marches, pour appeler à construire des bases d’organisations solides et offensives, desquelles vous ne serez pas dépossédées par le « mouvement climat ». Le 5 mars, nous serons aux Soulèvements de la Terre à Lyon et partout ailleurs contre Bayer-Monsanto et son monde. Le 13 mars, nous serons à la mobilisation écologiste dans le 93 pour s’opposer au renouvellement urbain et à la bétonisation asphyxiante.
Contre Anne Hidalgo ; les JO ; la métropole du Grand Paris et toutes celles qui naissent dans son sillage ; contre Bayer-Monsanto ; les méga-bassines ; les éco-quartiers ; les expulsions ; l’ANDRA et le nucléaire ; le tourisme qui détruit les montagnes ; contre les frontières.
Voici peut-être une écologie qui s’articule comme un mouvement social révolutionnaire. Une écologie qui fait des erreurs, mais qui apprend des mobilisations qui essaiment partout sur le territoire. Et si nos associations écologistes se donnaient la peine d’amplifier ces luttes, de nommer les responsables et soutenir toutes celleux qui s’opposent à eux ? Depuis ces luttes, il sera tâche aisée de trouver les nombreux slogans qui déjà nous animent.
Notre écologie qui parait parfois si mineure a cruellement besoin de soutien populaire de la part des associations et des militant-es sur tous les terrains de luttes pour se renforcer.
Alors, s’il s’agit pour l’écologie de devenir un véritable mouvement social, il faudrait que les associations institutionnelles apprennent à lâcher la main pour faire avec d’autres, questionnent leurs méthodes et accordent l’espace nécessaires aux militant-es qui souhaitent exploser les cadres de mobilisation. Il faudrait qu’elles aident à faire exister les combats existants, depuis leur assise institutionnelle. Qu’elles choisissent leur camp.
C’est en partant des luttes concrètes que nous pourrons construire ensemble une écologie offensive. L’Île-de-France est saturée de pollueurs et marchands de misère dont nous connaissons les noms…
Quand est-ce que l’on s’y met ?
Collectif Signataires
Désobéissance Ecolo Paris, Résistance Ecolo Rennes, NON aux JO, les Jardins à Défendre d’Aubervilliers, Collectif contre la ligne 18 et l’artificialisation des terres ? Les militant.es de Zaclay, Les communaux ? Les révoltés de la place Sainte Marthe, ex-ZAD de la Dune, ex-ZAD du Carnet, ComméRages , Voix Déterres, Les habitant·es de la Baudrière, Des ancien·nes d’Alternatiba, Des ancien·nes d’ANV COP 21, Paris Queer Antifa, Saccage 2024, Peuple Révolté, Peuple Uni, Lyon Inssurection