Quelque chose comme « le monde » est-elle concevable ? Un monde commun est-il possible ? N’avons-nous pas payé au prix fort toutes les entreprises prétendant à une communauté universelle ? Et s’il n’y avait-t-il d’universel que ce qui, singulier, s’acharne à le conjurer ?
Aito Krenak, Indien survivant de l’entreprise de destruction de son monde, nous dit : pour retarder la fin du monde il faut raconter des histoires, à condition que nous sortions de l’idée farfelue d’une universelle humanité. « Nous ne somme pas les mêmes, et c’est merveilleux, nous sommes comme des constellations. Le fait que nous puissions partager des espaces, que nos voyagions ensemble ne signifie pas que nous sommes les mêmes ; mais cela signifie que nous sommes capables de nous attirer les uns les autres par les différences plutôt que par l’accession à un statut de commune appartenance à cette idée d’humanité ». Il nous faut à nouveau raconter des histoires : « Une histoire de plus et alors peut-être nous retarderons la fin du monde ». (Idées pour retarder la fin du monde).
Ne faut-il pas alors cultiver des passages entre des mondes, faire exister un maillage de manières d’exister en faisant exister ce qui fait différence, sécession, contre les brutales opérations de totalisation de la valeur, contre les ravages de son homogénéisation, contre les régimes d’équivalence dont l’État est le garant policier, quoi qu’il en coûte à ceux qui se prennent pour des sujets affligés de son dépérissement ?
Il nous faut alors prendre le parti de la multiplicité, faire place aux expériences des mondes innombrables, cultiver des zones formatives de l’expérience avec lesquelles s’opèrent leurs compositions. Et qui nous nous avertissent aussi des dangers des brutales intrusions.
C’est alors du surgissement de régions dont il s’agit. Et celles-ci n’ont pas de frontières. Elles nous proposent des passages. Parfois des arrêts, l’immobilité. Elles dessinent des paysages où nous pouvons cultiver l’attention. Et puis, plus tard, arrivera un patient travail de traduction.
La constellation des Communaux veut contribuer à l’enchevêtrement d’histoires disparates. On pourrait dire aussi : la possibilité de rencontres improbables entre des régimes de perception et de sensibilités qui se situent toujours entre des mondes. David Lapoujade propose : « Nous ne sommes même plus sûrs qu’il y ait un seul monde commun où interagir, mais seulement des inter-mondes, au sens où chaque monde est un chevauchement de mondes » (Les existences moindres). Il n’y a plus un monde. Il n’a jamais existé en dehors du forçage paranoïaque du monde de la valeur opéré contre les multiplicités. Il y a seulement des mondes à altérer.
Chaque monde consiste dans la perspective qui le rend présent. Qui le rend réel. De telle ou telle manière. A partir de telle ou telle position. Dans tel ou tel combat. Voilà une manière de désigner à nouveau le communisme. La rencontre des hétérogénéités qui font exister des lieux pour coexister.
Ajoutons encore : être ici n’a du sens que de savoir qu’il y a un ailleurs. C’est ainsi qu’émergent les alentours qui font bifurquer l’histoire du monde. Il ne s’agit pas de faire l’apologie du cosmopolitisme de la marchandise ni de ses voyages pressés.
« ll faut avoir un pays, ne serais-ce que pour avoir le plaisir d’en repartir », disait Pavese. Nous voudrions lancer une invitation au retour, depuis un ailleurs, à ceux et celles qui sont parties.
Partir pour pouvoir revenir. Revenir des villes boursoufflées avec leurs quartiers aberrants, des villages esseulés et de leurs lisières, des plaines et de leurs horizons. Des montagnes, des rivières, des forêts, des océans et des rivages où se nichent des innombrables êtres que nous ne voulons pas ni ignorer ni oublier malgré les puissance de la destruction.
Nous vous proposons d’accueillir des perceptions, des visions, des paysages, des chroniques, des méditations. Des récits de soulèvements. Des enchevêtrements des patientes expériences à venir de nos amitiés.
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