L’atelier d’écologie politique de l’Université de Bourgogne (LIR3S) lance l’initiative du « Vocabulaire critique et spéculatif des transitions ». Espace de réflexion et d’élaboration commun (et des communs) pour ne pas laisser le mot transition à la merci du capitalisme vert et de la mélasse du développement durable.
Ce projet est né d’un constat : l’instauration, et leur installation dans le sens commun, de notions technocratiques, engagées dans le concert des nations et qui sont censées éclairer le futur des sociétés humaines, équiper les feuilles de route des États-nations, dès lors que les crises successives, les catastrophes sociales et écologiques et les menaces du réchauffement climatique sont devenues notre présent et notre horizon. Ces notions profondément ambiguës ont conquis une audience considérable et sont aujourd’hui les mots-clés des politiques publiques, enserrant nos vies, nos espoirs et nos manières de penser ou d’imaginer le futur dont ils proposeraient un scénario rassurant car conforme aux exigences multiples. Le « développement durable » a été de celles-ci, notion née dans les années 1980, dans le sillage du rapport Bruntland et de la prise de conscience des ressources finies de la terre, censée protéger des excès de l’idéologie du développement, pourtant vite épuisée, vidée de tout sens et de toute perspective concrète, et devenue le paravent de l’immobilisme et l’attestation de la bonne volonté. Depuis quelques années, parallèlement à l’émergence d’une nouvelle dénomination de notre époque, anthropocène, la notion de transition lui a succédé, sans cependant l’éliminer totalement, investi supposément de la mission de suppléer à son impuissance, de « jouer » en l’actualisant l’air de l’urgence ou plutôt de frapper les consciences tout en maintenant un niveau raisonnable d’optimisme : le durable ne suffit plus, les enjeux du 21e siècle appellent des transformations nécessitant la transition vers un monde réaménagé. La transition présentée comme sociale, écologique et énergétique devrait être la solution qui nous garantirait un futur en nous enjoignant de ne pas céder aux sirènes des mauvais augures de l’effondrisme.
Cette initiative a été précédée par un atelier de recherche, mis en place dès 2016, réunissant des chercheur·se·s et des universitaires de laboratoires dijonnais (INRAE, AgroSup Dijon, IRTESS, Université de Bourgogne), et visant à interroger la prolifération notions profondément ambiguës comme « risque » et « développement durable », qui ont conquis en quelques années une audience considérable. Les travaux de cet atelier on été consignés dans un carnet de recherche, accessible publiquement sur l’Internet, et intitulé « Penser les transitions. Atelier d’écologie politique ». Le « vocabulaire critique et spéculatif des transitions » qui est lancé aujourd’hui se situe pleinement dans la continuité de cet atelier – « qui aura d’ailleurs vocation à l’alimenter » – en ce qu’il veut donner une diffusion plus large à l’espace de pensée qui est proposé.
Ce vocabulaire réinvesti, vocabulaire à venir, appelle trois types de textes ou plutôt trois types d’écritures qui peuvent évidemment se combiner : écritures d’alerte quand il s’agit de pointer les grosses et les petites ficelles du vocabulaire dominant de la transition ; écritures d’analyse pour enfoncer le coin de la critique, faire valoir des complexités, ouvrir des perspectives ; écritures spéculatives pour explorer le possible et engager le monde à venir. Pour projeter fugacement et en toute utopie ce que ces écritures peuvent faire, Édouard Glissant (Philosophie de la relation, Gallimard, Paris, 2009) nous a offert la figure de l’archipel, soit « un état de monde » toujours en mouvement. Le dessiner par ces écritures, c’est laisser, par-delà la critique et les pensées de système, la possibilité que se déploie une « pensée archipélique » ouverte aux mille détails et reliefs de la réalité et aux « scintillations d’idées non impérieuses ».
L’équipe du projet propose déjà un certains nombre d’articles — sur des termes tels que : charbon, AMAP, smart city, résurgence, arbre, etc. —, corpus qui ne demande qu’à s’enrichir au gré des contributions. Le « vocabulaire » se veut en effet un projet ouvert à diverses écritures et pas uniquement académiques.
A noter aussi que l’ensemble des contributions en ligne au « vocabulaire » sont misent à disposition des communs du savoir et de la recherche sous une licence Creative Commons (BY-ND-NC) qui en autorise en particulier une utilisation non-commerciale (voir la présentation de politique éditoriale et la charte des contributions).