Nous rentrons dans une époque paradoxale où la perception de plus en plus aigüe des catastrophes en cours rend possibles de nouvelles manières d’habiter le monde. Époque d’un désaveu cinglant de son administration. Sommes-nous au début d’une radicale réorientation des modes d’interventions politiques ?
Or lorsque des formes d’oppositions résolues à la marche du monde tel qu’il est s’affirment, nous savons à quelle brutalité il faut s’attendre de la part de ceux qui prétendent nous gouverner. Nous savons avec quel acharnement ils veulent continuer à nous enfermer dans le temps vectorisé par la marche démente de l’économie. Appelons leur politique : libérale-fasciste.
Et pourtant, si l’accélération des désastres voit émerger une multiplication de révoltes, celle-ci nous conduit aussi, dans le même mouvement, vers la prolifération de nouvelles formes de partage, de réappropriation, de manières de prendre soin de nos milieux de vie et à déployer notre attention aux relations entre les êtres du vivant que nous sommes, humains et non-humains. Appelons ces révoltes, ces créations : l’émergence de nouveaux communaux.
Faisons une hypothèse. Contre la folle accélération de l’économie, ce sont des nouvelles politiques de l’expérience qui nous permettront d’en empêcher ses ravages. L’entraide, la coopération en sont à chaque fois la vérification.
Nous ne voulons pas être représentées. Nous ne voulons plus déléguer nos manières d’habiter le monde. Nous voulons être présentes au monde et pour cela créer la trame des relations qui nous relient à d’autres mondes possibles. Appelons celle-ci : autant de communes en chantier.
Nous vous invitons à participer à nos enquêtes, ateliers, rencontres pour contribuer à l’instauration d’une cartographie communale, soit autant de pratiques d’affirmation de nos expériences face au monde de l’économie et de son entreprise de dévastation.
Proposition
Il s’agit de mettre en œuvre un travail d’exploration d’expériences de solidarité, de coopération, d’entraide et de réappropriation de savoirs-faire. Ce projet se structure autour de trois formes de rencontres : des enquêtes et ateliers, des cycles de conférences et une plateforme numérique pour favoriser le partage de diverses initiatives.
1. Le travail d’enquête, pilier central du projet, consiste à aller à la rencontre de celles et ceux qui font exister des expériences d’entraides, de considérer les contextes dans lesquels ces initiatives ont émergé, d’explorer les liens avec d’autres expérimentations collectives. Ceci se traduit par des ateliers. Autant de moments de rencontres pour partager ces différentes tentatives.
C’est dans un travail de transversalité qu’il s’agit de s’engager. Comment des expériences hétérogènes peuvent s’influencer mutuellement alors qu’elles se situent dans des champs singuliers qui renvoient, souvent, à des formes de spécialisation institutionnelle ? Nous voulons créer une trame qui relie des pratiques par lesquelles s’instaurent des rapports singuliers à nos milieux de vie, dans les mondes de la médecine, des institutions psychiatriques, du travail social, de formes d’hospitalité, des pratiques d’écologie urbaines et plus largement des manières de se réapproprier des techniques. Ce qui guide ces différentes enquêtes c’est l’intérêt commun porté aux logiques d’autonomie collective mais aussi les alliances et les formes d’association qu’elles suscitent.
La plupart des expériences dont il est question sont situées en Seine Saint-Denis et le nord-est parisien, territoires marqués par une dense histoire populaire et par la forte présence de communautés issues de l’immigration. Pour certaines, la question du territoire est essentielle et pour d’autres pas. C’est-à-dire, dans certains cas, c’est leur inscription territoriale singulière qui est la raison même de leur existence. Ainsi pour les groupes d’entraide mutuelles dans les frontières des institutions de la psychiatrie, ou les pratiques de jardinages urbains et de réhabilitation des sols, ou les réseaux de solidarité avec des migrants organisés par des habitantes des quartiers. Pour d’autres, c’est le dispositif en tant que tel qui permet de reconfigurer une expérience. Ainsi pour le collectif Digdingdong qui rassemble des personnes atteintes par la maladie d’Huntington aux côtés de chercheurs, d’artistes. Ou l’Ecole Maïa qui accueille des enfants autistes et qui réinvente des pratiques de soin en collaboration avec les parents et leurs proches. Là, il s’agit moins de la question de la « localisation » que des situations à mettre en partage.
Nous savons par expérience que chaque collectif, lorsqu’il n’est pas ankylosé par l’autoréférentialité institutionnelle, ouvre toujours vers une constellation de nouveaux liens et d’autres lieux. Toute expérimentation s’inscrit dans sa propre trame d’interdépendances avec d’autres expérimentations qui permettent de potentialiser de nouvelles créations. En somme, ce qui nous importe avant tout c’est le soin porté aux modes d’existence de ces expériences souvent fragiles.
Des visites des lieux, des moments publics sont prévus pour faire connaître et partager ces expérimentations singulières.
2. Nous programmerons des cycles de conférences, autant des retours à des recherches qui donneront lieu à des discussions autour des notions qui intéressent particulièrement notre projet. Nous inviterons des sociologues, des historiennes, des anthropologues, des juristes, des architectes, des urbanistes et des praticiennes sans titre à interroger la pluralité des « communs », l’histoire de l’hospitalité, ce qu’on peut appeler le processus de métropolisation du monde, la genèse des institutions et leurs impasses, la place tenue par le droit si on le considère lui aussi comme une pratique. Il sera aussi question de faire retour aux héritages révolutionnaires et à leurs potentiels d’actualisation. Par là, il s’agira de constituer une trame d’intérêts partagés sous la contrainte des pratiques de création de formes d’entraide et de solidarité concrètes.
3. Nous avons mis en place une plateforme numérique qui permettra de présenter les rencontres, les ateliers, les comptes rendus de recherches. Cette plateforme pourra aussi accueillir des contributions, laisser des traces des différentes enquêtes, interventions, moments d’ateliers partagés. Il s’agit en somme de rendre accessible la trame des liens créés par nos rencontres. L’objectif de cette plateforme est de contribuer à la construction d’une cartographie vivante de ces communs en chantier.
Enfin, nous avons constitué un comité de marrainage, L’Amicale des communaux. Il est composé de tous ceux et celles qui souhaitent soutenir cet ensemble de chantiers, par leur présence aux différentes rencontres, leurs idées, expériences, leurs liens avec d’autres expérimentations. Une fois par an, le comité de marrainage se réunit pour un moment convivial qui est l’occasion de partager un état des lieux de notre démarche commune. Un appel à dons est lancé pour soutenir cette démarche collective. Ce projet est porté par l’association 1901 « Les Communaux ».