Comment créer, dans la plus grande adversité, des lieux de partage et de soin ? Comment créer les conditions pour que des rencontres vivantes puissent avoir lieu ?
Coucou Crew, au sein de La Station-Gare de Mines, lieu de création de musiques expérimentales à la Porte d’Aubervilliers, espace urbain désolé s’il en est, fait exister un espace d’accueil pour des personnes migrantes contraintes à vivre dans la rue, subissant des violences policières, et propose un accompagnement, des moments d’échange où se déploie un travail de liaison avec d’autres collectifs d’hospitalité.
Juliette Delestre, chargée de coordination et psychologue clinicienne, nous en raconte l’expérience.
Les Communaux : Est ce que tu peux nous dire comment tu t’es embarquée dans cette histoire?
Juliette : je suis psychologue clinicienne. J’ai eu mon diplôme en 2017 et j’étais déjà intéressée par l’expérience des personnes migrantes. J’avais fait mon master en psychologie transculturelle avec Marie Rose Moro, Marion Feldman, portée aussi par mon intérêt pour les dispositifs groupaux. Après mon diplôme je voulais m’engager auprès des personnes migrantes. J’ai sonné aux portes des grosses associations, comme MSF, etc. mais ça n’a rien donné, même si je proposais des espaces de paroles gratuits. Finalement c’est une petite association, Paris d’Exil, qui m’a répondu. Ce qui les préoccupait particulièrement c’était le grand nombre de jeunes en souffrance psychique, mais ils n’avaient pas d’argent, pas de local, pour nous recevoir… Il fallait tout créer… Je me suis dit pourquoi pas ? Et donc avec une collègue de la fac, Claire Roberge, on a décidé de monter un groupe de parole. On se disait que pour ces jeunes ça avait peut-être plus de sens. La plupart parlait très bien français. C’était un pari mais on ne s’était pas trompées. Il a fallu chercher un local gratuit, et j’ai atterri à La Station-Gare des Mines, à la Porte d’Aubervilliers, un lieu de création de musiques expérimentales, de résidences artistiques et d’expositions, géré par le collectif MU. J’ai été très bien accueillie. Ils se sentaient concernés par la situation des exilés, nombreux dans le territoire environnant et vivant dans d’épouvantables situations de précarité. D’ailleurs, ils étaient déjà engagés dans des formes d’hospitalité…
Les Communaux : un petite aparté, concernant La Station-Gare des Mines. Ils ont eu pendant longtemps une réputation, disons, d’opportunisme. On entendait dire : « Bah c’est bien marrant, ils ont eu un super lieu avec une convention avec la mairie mais en gros il a fallu virer les Roms et les migrants… ».
Juliette :pas depuis que le collectif MU gère La Station, depuis six ans ça n’a pas été un squat.
Les Communaux : avant peut-être?
Juliette: avant peut-être. Quoi qu’il en soit, ça tombait au bon moment pour eux et pour moi. Pas pour les mêmes raisons, mais ils m’ont accueilli tout de suite et étaient en demande pour s’engager davantage auprès des gens qui habitent à côté de la Station, voire sous la Station. Ils ont ouvert un point d’eau – car la Mairie avait fermé tous les robinets du quartier, Bref, on a atterri ici avec la collègue, et on a eu une petite salle très mignonne au fin fond de la Station, au sous-sol. C’était une bulle spatio-temporelle. On a donc commencé à animer le Groupe de Parole qui a commencé en janvier 2018. Puis au bout de six mois on a commencé un nouvel atelier à médiation avec MU, pour écouter ensemble de la musique, discuter, prendre un goûter. Nous avons commencé à travailler conjointement avec MU et à ouvrir notre action d’une façon pluridisciplinaire. Ça a marché très bien – et ça marche encore. Le public était toujours des jeunes entre 15 et 30 ans. Certains étaient dans des démarches de reconnaissance de leur minorité mais pas tous. Comme il y avait des campements aux alentours, on allait chercher les gars directement dehors, on ne leur demandait pas l’âge évidemment. Il y avait des demandeurs d’asiles, des dublinés… Parallèlement je faisais des consultations individuelles qui avaient d’abord lieu dans un centre social à Belleville, Le Picoulet, qui mettait à notre disposition un bureau, gratuitement. Par ailleurs, à l’époque je travaillais dans un théâtre, la MC93 à Bobigny. On a eu la chance d’aller assister à des spectacles gratuitement grâce à un partenariat qui existe toujours. De fil en aiguille, en partant du Groupe de Parole, on en est arrivées à un projet pluridisciplinaire, avec des médiations au travers de pratiques artistiques, des sorties culturelles, qui étaient (et sont toujours) un moyen de s’évader mais aussi de susciter des rencontres, car toutes ces personnes étaient extrêmement isolées et en demande de liens. Ça a donné lieu à des stages qui étaient effectués à La Station, d’autres à la MC93, par exemple des jeunes se sont engagés dans des CAP électriciens.
Les Communaux : des stages que vous parvenez à formaliser administrativement?
Juliette : oui. Certains jeunes en recours arrivent quand même à être scolarisés, donc l’opportunité d’un stage, avec leur scolarité, donne la possibilité que ça débouche sur une régularisation. Il y a un volet « insertion » qui s’est dessiné de lui-même. Dès que l’on peut, à La Station, on les engage avec rémunération lors des ventes solidaires, ou pour déplacer du matériel, des petites missions,… Il se passe toujours quelque chose à la Station, mais ça c’est officieux…
Les Communaux : alors, il y a d’un côté ce premier dispositif qui était les groupes, des jeunes qui venaient raconter leurs expériences, et en même temps tu proposais des moments d’écoute en tête à tête. Tu devais naviguer entre différents dispositifs, passer entre différentes modalités d’accueil et d’accompagnement impliquant des contextes différents. C’est assez inhabituel dans le monde psy…
Juliette : c’est vrai, mais ce n’est pas forcément les mêmes jeunes. Certains ne supportent pas le groupe. C’est rare que ce soient les jeunes des groupes qui demandent un échange individuel. Ça arrive cependant, lorsqu’ils ne vont pas bien du tout. On accueille et accompagne maintenant plus de 950 personnes. Les situations sont diverses mais ce sont majoritairement des mineurs en recours auprès du Tribunal pour Enfants.
Pour continuer chronologiquement. Il y a un an [en 2020] on a fini par monter dans une salle où il y a une fenêtre, et on est au même étage que les collègues et artistes qui travaillent dans la création musicale, la programmation… Symboliquement c’était important, cela a donné plus de légitimité au projet et aux jeunes fréquentant notre association. On a beaucoup migré dans la Station ! (Rires). On a fait des groupes de paroles partout, dedans, en haut en bas, à chaque fois que, par exemple, il y avait un tournage on nous demandait de changer de pièce avec du bruit autour… ! Mais ça a tenu, les jeunes revenaient.
On a fait cela depuis 4 ans [2018] ! Là on a une vraie salle, même si elle n’est pas très grande. La Station entre-temps s’est agrandie de 6000 mètres carrés, après avoir gagné un appel à projet avec la Mairie du 18ème arrondissement. C’est à ce moment que nous nous sommes posés tous ensemble la question d’un espace dédié, vraiment pour les jeunes. On a fait des concertations avec toutes les personnes qui travaillent à la Station. Tout le monde a été d’accord pour qu’il y soit créé un espace voué spécifiquement au Coucou Crew. Petit à petit s’est dessinée l’idée que cela soit co-construit avec des collectifs d’architectes spécialisés dans la co-conception et la co-construction avec les usagers des lieux. Le processus, en lui-même était passionnant. Il s’agissait que les jeunes puissent s’approprier ce lieu, eux qui vivent pas loin dans des tentes. C’est un lieu pour eux, qui reste, à la différence de leurs campements dispersés en permanence. Un lieu palpable, ancré dans le territoire.
On a eu des financements de la Région Île-de-France et du département du 93. Pour nous c’était dingue, on avait commencé en sous-sol, et on a fini par construire quelque chose de très visible. On le voit depuis le périphérique ! Je l’appelle la pyramide Maya.
Pour le chantier il y a eu une semaine de co-conception collective. Les architectes nous ont guidé, on était en tout une vingtaine, voire une trentaine selon les jours. L’idée était que des personnes très différentes qui travaillent, circulent à La Station se rencontrent. Qu’on cesse d’être exilé sur les lieux de La Station-Gare des Mines. On a été constamment en train de bouger et d’échanger. Tout le monde s’est mélangé, ça a été bien pensé. Puis on a eu quinze jours de chantier. Les jeunes étaient motivés, ils ne pouvaient plus s’arrêter de bosser et pourtant il a plu très souvent ! En tant que psy ça m’a plu de mettre la main à la pâte avec tout le monde. On a construit ensemble le bâtiment. On a fait l’aménagement avec les jeunes, la déco… Ils en étaient très fiers. Il y a en a un qui a exposé ses peintures dans l’accueil de jour. Ils appellent ce lieu « La Case ». La plupart des jeunes viennent de l’Afrique de l’ouest, pour eux c’est une maison traditionnelle. On a fait l’inauguration [en octobre 2021]. 450 personnes étaient présentes. C’était la soirée la plus mixte et inclusive de La Station-Gare des Mines!
Les Communaux : …c’était, en effet, un beau moment de cristallisation de réseaux.
Vous avez eu de l’argent par la Région, ce qui est assez étonnant vu la politique d’hostilité permanente des politiques et administrations publiques à l’accueil des migrants. Mais après, dans votre expérience il y a un toute autre question : celle de l’articulation entre des collectifs. Comment travaillez-vous les rapports de réciprocité avec des collectifs qui ont des configurations différentes? C’est à dire comment mettez-vous en place des rapports entre des réseaux de solidarité qui sont certains très en dehors des logiques institutionnelles ? Vous maintenant, vous êtes financés, donc.
Juliette : oui, depuis un an [mars 2021] je suis salariée du Coucou Crew. Mais sans La Station on n’existerait pas. C’est eux qui nous ont aidés pour les appels à projet, et on continue à les faire ensemble. C’est eux qui ont porté le projet auprès de la Région. On travaille main dans la main. D’autres associations, comme Utopia 56 et La Casa… font des permanences dans notre accueil de jour. De manière générale avec les autres associations, ce n’est que des interactions pas vraiment formalisées. Mais on est toujours en lien. Ils nous adressent des jeunes, on leur adresse des jeunes. Par exemple nous on ne s’occupe pas de la question de l’hébergement et du logement. On a besoin les uns des autres.
Les Communaux : donc, il n’y a pas des rencontres formalisées qui fédèrent toutes ces initiatives?
Juliette : c’est surtout des rencontres qui se font à même dans l’agir. Mais quelques fois on organise des rendez-vous. Par exemple il y a eu des personnes avec un statut de services civiques d’Utopia 56 qui sont venues nous rencontrer. Ce n’est pas très formel mais ce sont des habitudes qui s’installent…
Cette question me fait réfléchir justement. Il y a beaucoup de gens à qui je parle par téléphone, et tout d’un coup quand on se rencontre on se dit « ah mais c’est toi! ». Comme avec Les Communaux, j’étais très contente d’avoir rencontré des gens avec qui j’avais été en lien à partir des rencontres que vous avez organisées.
Les Communaux : on constate que ces manières de se lier par ce qu’on fait, par des logiques d’interdépendance, sont parfois plus solides que des manières très formelles comme par exemple la création d’une énième coordination. Mais prenons l’exemple d’Utopia 56. Ils ont mis en place un dispositif assez impressionnant d’hospitalité, d’accompagnement, d’accueil qui est partagé avec d’autres lieux. Et puis en même temps ils participent au Collectif réquisitions, dont l’objectif porte davantage sur des logiques d’effraction, des rapports de force avec l’État, les mairies pour rendre visible la situation dystopique qui est faite aux migrants. Es-tu en lien avec ce collectif de collectifs ?
Juliette : non, pas trop. Notre démarche est plutôt celle de privilégier les liens qui se créent dans les actions de terrain des uns et des autres. Et puis on évolue ensemble. On a ouvert le 19 octobre [2021], et depuis l’ouverture c’est vraiment comme on avait imaginé sur le papier. Il y a déjà plus de 40 nouveaux bénéficiaires en un mois [plus de 800 nouveaux jeunes en 10 mois!]. Il y en a qui ont l’air d’avoir 14 ans. Ils font franchement jeunes et ils sont quasiment tous à la rue alors qu’il fait 2 degrés à Paris… Tout va bien… Je me demande où ils seraient si tous ces collectifs n’étaient pas là. Certains sont hébergés dans des théâtres, mais ils ne peuvent pas y rester dans la journée… Donc, ils reviennent à La Station la journée. C’est par ces modes de circulation que nous créons des liens.
Les Communaux : il y a eu une mobilisation des espaces culturels pour les héberger?
Juliette : un peu. Par exemple des lieux les accueille à certaines heures à des horaires restreints. Ceux qui y vont se trouvent donc parfois des heures dehors. J’ai pour habitude de leur proposer d’aller au 104 (centre culturel parisien). Mais avec le Covid il leur faut le pass sanitaire… Nous on ne leur demande pas le pass sanitaire à leur arrivée. Ça rajoute des difficultés. Faut-il les encourager à se faire vacciner pour pouvoir aller dans les bibliothèques ou les musés gratuits où ils pourraient être au chaud ? A la Station ils sont bienvenus quatre jours par semaine. Ils peuvent se doucher et faire des machines si besoin. On a toujours un placard rempli de vêtements chauds, des couvertures à donner. Le mardi il y a une bénévole américaine qui donne des cours d’anglais, ils en avaient très envie. L’après-midi c’est une artiste qui fait un atelier soudure pour faire des bijoux, comme ça ils repartent chacun avec des petits bijoux. Il y a des coiffeurs gratuits qui viennent toutes les semaines. Ils sont eux-mêmes en situation de migration, et ils viennent pour réconforter, prendre soin des jeunes pendant tout l’après-midi. Ça se fait en lien avec Solidarité migrants Wilson. Ils ont créé les « Barber solidaires ». Il y a le Groupe de Parole le mercredi. Nous proposons une initiation au monde de la radio le jeudi. Il y a un groupe de musique qui s’est fondé, « Le Coucou Gang ». Il est né de la rencontre de deux collègues qui travaillent à la radio Station Station et à la programmation, avec des jeunes du Coucou Crew, Ils ont commencé à faire de la musique ensemble et ça a tellement bien marché qu’ils en sont à leur quatrième concert. Le dernier c’était un direct avec Toronto, donc ils sont connus au Canada! Il y a plein de jeunes artistes dans notre association. Qui se découvrent artistes ou qui l’étaient déjà avant de partir. Il y a des ateliers d’écriture car il y en a qui parlent très bien français mais qui n’écrivent pas. Encore une fois si on n’était pas à La Station on en serait resté au Groupes de Parole. Notre action se serait essoufflée…
Les Communaux : tu veux dire que tout ce travail de désassignation au statut, à l’identité de migrant sans-abri ne pourrait pas se faire sans cette machinerie qu’il y a autour.
Juliette : on en serait resté au stade « patient-soignant ». Ça peut aussi bien marcher mais c’est trop limité. A un moment il faut faire des choses ensemble. Ce que nous fabriquons ensemble ne va pas leur donner des papiers, mais quand ils sont ici, ils font un pas de côté, ils respirent, ils ne sont plus obligés d’être passifs. Ici on peut s’appuyer sur tellement de pratiques et de métiers différents ! Tous les vendredis on cuisine tous ensemble…
Les Communaux : et vous êtes combien pour tenir tout cela?
Juliette : il y a moi, Nina qui est en service civique pendant six mois [salariée depuis avril 2022]. Il y a la présidente Julie Viala, Juliette Décarsin la trésorière, (mais elles ne sont pas sur le terrain) deux profs de français bénévoles, une prof d’anglais bénévole. Sonya Perrot, qui est ma co-thérapeuthe pour le Groupe de Parole, et Juliette Le Gloan, une ancienne service civique qui revient bénévolement. On est une dizaine. Je suis salariée 25 heures par semaine, Sonya 3 heures par semaine [il y a eu des changements depuis]. Ce qui est intéressant, c’est qu’on fait des choses avec tous les gens qui travaillent à la Station, musicien.n.e.s, programmateur.ice.s musicaux, barmans, cuisinier.e.s, technicien.n.es… Tout le monde s’y met. C’est aussi important d’aller voir ce qui se passe à la cuisine que de participer au Groupe de Parole peut-être. Chaque jeune compose avec ce qu’on lui propose.
Les Communaux : dans la situation de grande adversité qui est celle des jeunes, et par ricochet la vôtre, avec les financements dérisoires dont vous bénéficiez, il y a une réinvention des pratiques de soin assez impressionnante. Votre dispositif hybride tout un tas de choses, vous brouillez les frontières de ce qui serait une institution spécialisée. Vous agencez des passages entre des pratiques très hétérogènes. On peut dire que vous êtes en train de redéfinir complètement la conception du soin. Ceci dit, comment vous débrouillez-vous avec des situations de crise?
Juliette : je pourrai évoquer un jeune qui est resté trois semaines à l’hôpital de Saint-Anne. Je l’avais orienté vers Médecins du Monde qui l’avait accompagné au C.P.O.A. (Centre psychiatrique d’orientation et d’accueil). Moi je ne pouvais pas car je n’ai pas de voiture. Les Médecins du Monde ont une permanence à la Porte de la Villette, à 10 minutes à pied d’ici, on y est allés ensemble. Il y a des consultations médicales gratuites, avec des interprètes. On a réussi à ce qu’il soit hospitalisé trois semaines puis logé avec France Terre d’Asile. On a ensuite mis en place avec la psychologue et l’assistante social des Médecins Sans Frontières et l’équipe de Sainte-Anne, un suivi dans un CMP… et puis finalement le jeune est reparti en Italie. Je m’inquiétais mais on reste en lien par WhatsApp. Là-bas il a aussi rencontré un psychiatre, il a trouvé un boulot et il est logé. Il me donne régulièrement des nouvelles. Mais c’est la seule urgence qu’on a eu en quatre ans. On accueille généralement des jeunes qui sont en fait assez solides … Certains sont traumatisés par ce qu’ils ont vécu au pays, ou sur le chemin en Libye… Dans ce cas on peut être en lien avec la consultation d’ethnopsychiatrie de Guy Môquet, ou avec le pôle Montmartre qui a une consultation psychotrauma.
Les Communaux : ils y vont facilement?
Juliette : oui, bon, ils loupent parfois leur rendez-vous, mais ils veulent un traitement, ils veulent mieux dormir. Certains se sont tout fait piquer, leur sac, leurs papiers. D’autres ont appris que des gens de leur famille étaient morts, et ensuite ils n’arrivent plus à dormir. Il y en a un qui a fait une tentative de suicide il y a deux mois. Il a failli se jeter sous un métro. J’essaie d’être vigilante, mais eux me disent, pour me rassurer souvent : « Juliette, là ça va ». Mais c’est vraiment la réalité qui est trop dure ! A Montmartre, même s’ils n’ont pas de papiers, il y a un accueil inconditionnel. Pour le jeune qui a voulu se suicider j’ai fait ma demande il y a deux semaines. Ils vont en parler en équipe mercredi prochain. Ceci dit, les jeunes me le disent assez spontanément quand cela ne va pas…
Les Communaux : notre journée de soin sera aussi consacré à cela, la façon dont le soin se ré-articule avec des lieux qui ne sont pas forcément destinés au soin. Ça redessine une conception de soin singulière, des attentions multipliées dans plein d’endroits, des opportunités pour recréer des liens entre institutions qui sinon ne se parlent pas, qui sont dans des logiques de clôtures. Ce qui est remarquable dans votre expérience, c’est vraiment qu’elle est devenue un point de cristallisation des plein pratiques, de lieux, de temporalités hétérogènes.
Juliette : je ne me rends pas compte de ce qu’on fait. Ça fait quatre ans que je suis psy. J’ai travaillé aussi dans un théâtre. J’ai travaillé ensuite dans l’accompagnement des patients qui ont des maladies chroniques graves. Et je continue à travailler encore le mercredi matin à Saint-Denis, autour de l’accompagnement d’enfants avec leur famille, en précarité. Tu me parles de plein de choses que je comprends mais que je connais mal. Je ne me rends pas compte que ce qu’on fait ici peut devenir une manière de repenser le soin. C’est pour cela que j’aime bien avoir des regards extérieurs. Je suis contente d’avoir des retours d’autres psy… Mais nous on fait notre petite sauce surtout avec les retours des bénéficiaires. C’est ça qui est important. La souffrance des jeunes est surtout une réaction à la maltraitance de l’État. Et nous devons en tenir compte à partir de leurs propres expériences, à chaque fois singulière.
Les Communaux : est-ce que tu es optimiste sur la suite de votre expérience?
Juliette : maintenant on est connus par les pouvoirs publics et on commence à se faire une petite place. Mon poste pourra être financé jusqu’en octobre 2022. Donc il faut qu’on continue à chercher des financements.
Les Communaux : c’est toi qui t’occupes aussi de chercher les financements?
Juliette : oui. On a eu un financement important de La Fondation de France. ça nous a sauvé la mise. La Station-Gare des Mines n’a pas les moyens de financer le Coucou Crew. C’est pour cela qu’ils m’aident aussi à chercher les financements. Ils font aussi la com’, ils font connaître ce que nous faisons. C’est vraiment ensemble qu’on fait les appels à projet. Eux, ils en ont l’habitude. Ils font eux-mêmes des appels à des financements.
Les Communaux : en gros sur une année vous accueillez une centaine de personnes [en 2022, + de 800 personnes]. Est-ce que tu vois des jeunes depuis plusieurs années?
Juliette : oui, et c’est ça qui est intéressant. On accueille une moyenne de 15 personnes par jour [jusqu’à 60 jeunes par jour en 2022]. On travaille sur le long terme. Ce qui nous intéresse c’est de rester en lien avec ceux qu’on rencontre. Certains sont régularisés, d’autres sont nos voisins, ils ont trouvé des logements dans le coin, des boulots à la RATP. Et ils reviennent nous voir, pour partager une soirée concert à La Station, pour prendre un café avec nous. Ça c’est très sympa. Tu sens qu’ils ont… pour eux c’est un peu une deuxième maison. Si les jeunes ne revenaient pas, on aurait arrêté de toute façon. Cela fonctionne beaucoup de bouche à oreille. Ils ramènent des amis à eux, donc il y a quelque chose qui marche…
Photos et vidéo de la soirée d’inauguration de l’Air de Repos (vidéo réalisée par Louis Bidou :
Soirée d’inauguration de l’Air de Repos
Article publié par le média de La Station – Gare des Mines :
L’Air de Repos : espace d’accueil et de soin destiné aux jeunes exilé·e·s à La Station – Gare des Mines par Manon Schaefle publié le 5 août 2021
Article publié par le média Trax :
Paris : La Station a inauguré un nouvel espace d’accueil pour les exilés de la Porte d’Aubervilliers par Erwan Lecoup publié le 29 octobre 2021
Podcast réalisé et publié par l’émission GESTALT :
Lien vers le podcast sur la plateforme Spotify :
Co-conçu et co-construit avec ses futur·e·s usager·ère·s lors d’un chantier participatif entamé fin avril 2021 avec les collectifs d’architectes ICI! et Atelier Craft, cet espace est envisagé comme un lieu-ressource permettant de pérenniser les actions psycho-culturelles déjà existantes depuis 2018 à La Station grâce au Coucou Crew.
Encadré par des professionnel·les de la santé mentale et du champ culturel issu·e·s des associations Coucou Crew et MU, l’Air de Repos propose un accueil inconditionnel pour les jeunes exilé·e·s ayant envie de venir discuter, de bénéficier de séances de soutien psychologique, de boire un café, d’initier ou de participer à des activités culturelles, de rencontrer des professionnel·le·s et des pairs… Les partenaires: Association ICI!, Atelier Craft, Médecins Sans Frontière Pantin, Médecin du Monde 12ème, Paris d’Exil, La Casa, Les Midis du MIE, La TIMMY, Les Apprentis d’Auteuil, Utopia 56, Les 4A, Solidarité Migrants Wilson, Centre d’Action Social Protestant, Urgence Jeunes, Limbo, La Maison Bakhita, Consultation ethnopsychiatrique Guy Môquet (Hôpital Maison Blanche), la consultation psychotrauma du Pôle Montmartre, La MC93 – Maison de la Culture de Seine-Saint-Denis, le Collectif MU, La Station – Gare des Mines, le théâtre de la Commune à Aubervilliers, le Petit Bain, La Fab., le Musée en Herbe, le Musée Picasso, le Centre Pompidou, le Palais de Tokyo.