Qu’en est-il de la place des « usagers » dans les institutions, des formes collectives d’autonomie indissociables d’une culture des interdépendances et des formes d’entraide ? Comment sortir de la réification de la « clinique » justifiant l’asymétrie entre les soignants et les « soignés » ? Comment désenclaver les gestes de soin des cadres institutionnels lorsque ceux-ci se fondent sur une phobie du « dehors » de l’institution?
A la suite de plusieurs mois de rencontres, en France comme en Belgique, dans le cadre d’un des « chantiers » des Communaux, nous avons proposé une journée de présentation d’expériences et de réflexions qui tentent de réinventer des manières de prendre soin de la vulnérabilité. En altérant les institutions. Aux frontières de celles-ci. Parfois contre elles. Nous nous intéressons particulièrement à la création de rapports entre des lieux et des dispositifs disparates, aux passages entre ceux-ci permettant des agencements entre des hétérogénéités. Et par là, des nouvelles processualisations de l’expérience de la souffrance. Nous avons enfin voulu envisager les conséquences d’une dé-spécialisation des pratiques soignantes permettant l’émergence de formes de communautés qui ne peuvent exister que dans la rencontre entre des formes de vie hétérogènes.
Josep Rafanell i Orra et Valentin Schaepelynck partagent leurs réflexions autour de l’institution et des processus instituants, des contre-institutions et la désinstitutionnalisation. Comment hériter des institutions pastorales et de leur négativité historique? Comment situer le soin dans des régions d’expérience qui supposent des formes de co-individuation? Comment sortir en somme de l’auto-référentialité à laquelle conduisent souvent les savoirs psy se traduisant par des formes de pouvoir naturalisées ?
Des professionnels et des usagers de La Trame, nous font partager leur expérience. Créée en 2017 et située à Saint-Denis, La Trame est un lieu d’accueil, d’orientation et de soutien dans la communauté destiné à des personnes en souffrance psychique. Elle facilite des pratiques en réseau en s’appuyant sur des ressources inscrites dans un territoire concret et s’appuie sur les dynamiques d’entraide entre pairs. La Trame participe aussi à la lutte contre la stigmatisation des personnes concernées par la souffrance psychique. Il s’agit aussi de faire vivre une dynamique de recherche-action permanente sur les liens entre psychiatrie et champ social au travers d’ateliers collectifs, d’interventions extérieures et d’une émission de radio. Il sera question aussi de l’expérience de Javiera Hiault-Eheverria, artiste plasticienne, qui fabrique avec les personnes concernées des cartographies expérientielles.
Ensuite Roxane Gabet évoque l’expérience du Réseau français sur l’entente de voix (REV), dispositif qui promeut une désassignation aux catégories psychopathologiques et aux surcodages par la psychiatrie des expériences de souffrance. Nous revenons avec elle sur l’instauration d’un groupe d’entendeurs de voix, singulier en ce qu’il a été formé sur Zoom à la suite de l’irruption de la pandémie. A partir de récits d’enquête, elle nous proposera une généalogie de cette expérience, depuis l’entrée des voix dans la psychiatrie jusqu’aux formes diverses du dispositif du groupe de parole entre pairs aujourd’hui, et des effets que cela peut produire.
Eleni Alevanti et Frédérik Galbrun évoquent leur travail au sein d’une équipe mobile « psychiatrique » dans le milieu de la précarité qui intervient à Bruxelles auprès de personnes sans logis ou mal logées. Ils abordent la question de la démédicalisation du soin, surtout dans un contexte de rue et par conséquent sur la compréhension de ce que signifie une psychiatrie qui se déploie hors de ses murs, soit les paradoxes des réformes de désinstitutionalisation. A partir d’une grille de lecture de savoirs expérientiels qui orientent leur travail quotidien, les intervenants nourrissent les échanges en s’appuyant sur des récits de terrain, des histoires de vie, des témoignages parlants pour penser comment « prendre soin » autrement.
Maeva Musso et Jurl nous parlent de l’association Underground psychiatry. L’association U_P est constituée par des personnes d’horizons différents, professionnels, et non-professionnels, usagers et ex-usagers. Elle promeut le dispositif de soin Open Dialogue en France et des pratiques de soin communautaire en lien avec des expériences artistiques. Elles s’attardent particulièrement sur les pratiques de prescription médicamenteuse et l’expertise des usagers. Il y est question aussi de la fabrication d’un film avec ceux-ci en période de confinement. En somme, ils évoquent aux manières de susciter des liens de co-concernement entre des soignants et l’environnement proche des personnes en souffrance.
Avec Isabelle Stengers, nous tentons de composer des articulations et des transversales entre des pratiques hétérogènes dans la perspective de nous projeter dans de nouvelles enquêtes, rencontres et de consolider des liens et des formes de réciprocité. Il s’agit de penser, dans le cadre des expériences que nous aurons partagées, ce qu’Isabelle Stengers appelle des dispositifs génératifs en contraste, et contre, les dispositifs de contrôle.